Ars Dogmatica

Pierre Legendre

La France et Bartole

L’histoire du Droit, elle aussi, utilise les symboles ; par eux, elle compense ses insuffisances et comble provisoirement ses lacunes. Les signes conventionnels, qui bornent l’horizon à notre convenance tout en remplissant des fonctions très précises1, permettent d’ajuster un adroit équilibre de thèses et d’antithèses, créent l’illusion d’un déroulement aux phases tranchées et logiquement articulées. Toute étude ayant trait à Bartole et à ses rapports avec la France s’ouvre par cette amère philosophie.

Sur l’incroyable déficience de l’information il n’y a pas lieu de disserter longuement. Le titre même de cet exposé exprime une gageure. Imagine-t-on présenter une synthèse quand l’analyse fait défaut ? Les bases elles-mêmes, en effet, sont fragiles ; non seulement la liste des œuvres de Bartole prête à discussion, mais la critique de ses productions les moins contestables est à peine entamée et un univers reste à découvrir dans les gloses des manuscrits du Corpus dès le milieu du XIVe siècle. Ne perdons pas de vue un point essentiel : si l’histoire du Droit romain médiéval présente d’une manière générale de graves lacunes, nous sommes à l’heure actuelle particulièrement dépourvus quand on aborde le siècle de Bartole2.

Qu’en compensation s’offre à nous un Bartole-symbole, aux traits d’ailleurs bien nets, il suffit, pour s’en persuader, d’observer l’assurance et la passion avec lesquelles les auteurs français ont jugé le maître de Pérouse. Durant tout l’Ancien Régime et au-delà, son seul nom fut évocateur d’un certain nombre de thèmes dont on retrouverait aisément l’écho, affaibli parce qu’incompris ou déformé, jusque dans nos modernes manuels3. Enfin, il n’est pas sûr que certains silences soient de neutralité. Depuis la Renaissance humaniste, en effet, Bartole a été ridiculisé, méprisé et injurié4 de telle sorte que l’anti-Bartolisme peut paraître comme une constante et une donnée fondamentale de l’esprit juridique français. Les historiens ont, eux aussi, hérité de ce caractère acquis et ne semblent pas être toujours parvenus à rationaliser leurs représentations5. Force est de constater qu’en ce domaine, comme en plusieurs autres, nous nous accomodons des modèles consacrés. 

On aurait tort de considérer ces données sous les traits de l’anecdote. Au contraire, l’agressivité contre Bartole, devenue pour ainsi dire officielle depuis le XVIe siècle, et le premier fait – et de quelle importance – à s’imposer au spécialiste soucieux d’éclairer l’enchaînement des problèmes et de préparer d’authentiques explications. Derrière les fils embrouillés de l’histoire psycho-juridique se profile un jeu complexe de malentendus, conscients ou non, qui sont comme les arêtes vives de l’histoire des rapports du Droit français avec le Droit romain. Expliquer les sentiments de répulsion qu’a provoqués Bartole en France ne constitue donc pas une pure recherche de psychologie juridique, au demeurant fort instructive6. Une telle étude permet surtout d’aborder sous un jour nouveau les grands problèmes. Au fait, avec qui, avec quoi a-t-on prétendu rompre ? Si, lors de la Renaissance, Bartole apparut en France comme un réprouvé, c’est qu’il représentait aux yeux de Cujas et de ses disciples, vrais ou faux, une école dont les méthodes et les doctrines étaient jugées dépassées. Sans doute, cette rupture a-t-elle été souvent décrite7, mais il s’en faut qu’en ait été dégagée toute la substance ni qu’on en ait analysé tous les aspects. Nul ne s’est encore attaché chez nous à dessiner l’exacte représentation de Bartole qu’on avait au XVIe siècle, en opposition avec la voie moderne8. Il est évidemment impossible de comprendre les réactions des critiques de Bartole sans tenter de reconstituer l’ordre des mouvements : la formation des doctrines du docteur de Pérouse, l’influence et le rayonnement des auteurs postérieurs, de grande ou petite pensée, qui assurèrent son succès et que les juristes humanistes devaient poursuivre de leurs sarcasmes. Le point préalable sera donc de poser les définitions : la recherche de l’authentique Bartole ; faut-il distinguer Bartole du Bartolisme ?

Cette indispensable initiation conduit tout droit au centre du débat : le sens de la querelle ouverte par les Humanistes, problème à deux branches, comme on va voir.

Découvrir le sens de la querelle, c’est tout d’abord s’en remettre aux Humanistes eux-mêmes, pénétrer le sens de leur vocabulaire, se plier à la dialectique de leurs oppositions. La démarche n’est pas si simple. En soi, la négation des autorités est neutre. Je m’explique. La condamnation de Bartole pour barbarie, les listes d’auteurs voués à l’abjection, le thème plus positif de la Purification sont les signes de la révolution, non son explication. Cette révolution même se présente comme un mouvement ambigu. Les Humanistes pensaient-ils vraiment comme ils disaient ? Ce qui revient à se demander si le nouvel esprit du Droit romain s’imposa vraiment, s’il n’y a pas à reconnaitre une place aux apparences et si, finalement, le schéma que se sont transmis plusieurs générations d’historiens des sources n’est pas quelque peu abusif.

Découvrir le sens de la querelle, c’est, d’autre part, chercher à saisir les raisons de ses prolongements. Nous voici donc conduits à aborder, sous l’un de ses aspects, le redoutable problème des influences du Droit romain, ou plutôt des divers courants de la Romanistique, sur notre Ancien Droit depuis le XVIe siècle. Quelle place, quelle dimension furent reconnues à Bartole dans la mosaïque, dans cette « bigarrure de droicts »9 ? Si jusqu’aux codifications napoléoniennes le Droit français devait demeurer un ensemble hétéroclite, formé d’éléments variés de nature et d’âges différents, la recherche d’un « Droit commun » sensibilisa la doctrine. Mais « le mélange de droit romain avec les coutumes »10 fut une réalisation progressive. Or, dans un processus de lente maturation comme celui qui devait aboutir à l’unification du Droit français au début du XIXe siècle, les oppositions essentielles et fondamentales risquent de s’estomper et les conformismes les plus irréductibles ont toutes les chances de se réconcilier. L’hostilité à Bartole ne pouvait plus avoir à la veille de la Révolution bourgeoise la même signification que pour les têtes chaudes, parfois naïves, du XVIe siècle. On devrait même aller plus loin et poursuivre l’enquête au delà des codifications en cherchant à comprendre pourquoi l’anti-Bartolisme s’est maintenu en France jusqu’au XXe siècle : il n’est pas d’état résiduel qui n’ait ses raisons et ne porte en lui certaines conséquences.

Les rapports de la France avec Bartole soulèvent, on le perçoit d’emblée, d’immenses problèmes11 dont beaucoup demeurent actuellement insolubles et qui devraient logiquement conduire à évoquer tous les grands chapitres du Droit privé12. Il ne saurait être question de réaliser en quelques pages une telle Somme qui supposerait d’importantes études préliminaires, l’utilisation méthodique des sources les plus variées et la collaboration de plusieurs spécialités. Mon but est plus modeste : offrir au lecteur un utile accessus ad materiam qui suivra l’ordre naturel des questions.

I. Bartole et le Bartolisme

 

La restitution de l’authentique Bartole est un exercice difficile. Dès l’abord, en effet, on se trouve en présence d’un lourd héritage d’opinions tranchées recueillies de l’historiographie ancienne, de convictions séculaires qui, malgré une tradition concordante et ininterrompue, ne résistent pas à un examen critique. L’erreur commune présente Bartole comme le corrupteur de la méthode et de l’esprit des Glossateurs par l’invention d’une méthode, généralement qualifiée de scholastique, et la diffusion d’un esprit nouveau, fondé sur des préoccupations pratiques, attitude qu’on se plaît à opposer aux tendances pré-scientifiques des premiers successeurs d’Irnerius. Tel est, à quelques retouches près13, le schéma toujours en usage.

Si cette erreur ne menaçait de devenir invincible, il n’y aurait pas lieu d’ouvrir une démonstration pour la réfuter. Il convient donc, en premier lieu, de dissiper les équivoques en faisant ressortir les traits essentiels de la littérature romaniste des XIIe et XIIIe siècles, tradition recueillie par Bartole dans laquelle la doctrine française occupe une si importante place. L’histoire repose ici sur une distinction dont l’artifice est encore souligné par le vocabulaire courant. On parle des Post-glossateurs, comme si les auteurs qu’on entend désigner n’étaient plus glossateurs14. Une telle expression, aveu de nos ignorances, devra disparaître quand l’étude des méthodes aura fait de suffisants progrès15.

Ces définitions préliminaires préparent logiquement à poser le premier grand problème à résoudre ici : déterminer la signification de l’œuvre de Bartole dans la Romanistique médiévale, particulièrement dans ses rapports avec la conjoncture française. De la multiplicité des questions j’isolerai l’essentiel : examen des caractères originaux qui justifient l’éminence de Bartole, analyse des indices de transformation ou de déformation de ses doctrines, appréciation des formes de son succès et de sa première influence dans les régions françaises.

 

1. 

Les idées simples, source des fortes convictions, encombrent encore l’histoire du Droit romain médiéval. L’une des plus répandues, fruit de synthèses prématurées, consiste à présenter les Glossateurs de la première période comme des cerveaux abstraits et la Grande Glose, tenue pour la synthèse de leurs travaux, comme « une œuvre de pure intellectualité »16. Telles sont les prémisses d’un raisonnement qui conduisit plus d’un auteur à opposer d’une manière presque radicale Bartole à ses prédécesseurs17. La voie, ici encore, fut ouverte au XVIe siècle, Cujas ayant accordé la rémission aux Glossateurs pour être demeurés attachés aux textes18 et ne s’être pas compromis par des préoccupations de pratique. L’école dite des Glossateurs, en définitive, marquerait le triomphe de l’abstraction et de la pure théorie. Dans ce schéma, il est vrai, on reconnaît la liaison des maîtres français d’Orléans dont les doctrines et l’esprit, transmis en Italie par Cinus de Pistoie, furent développés par Bartole19. Le problème se trouve donc, de ce fait, chronologiquement avancé : entre un Placentin et un Révigny l’opposition est-elle radicale ? Quelques remarques suffiront pour rétablir la complexité des faits et souligner le sens d’une évolution qui, du XIIe au XIVe siècle, n’a connu, je crois, aucun bouleversement des méthodes ni de l’esprit juridiques.

 

A) Les allusions à l’esprit abstrait ou à l’intellectualisme des Glossateurs expriment une évidence : leur attachement au texte dans lequel paraît s’enfermer la pensée. La méthode décrite par J. Bassianus au XIIe s. et avec plus de précisions par Odofredus dans la première moitié du XIIIe s. évoque bien ce souci souvent exclusif de l’éxégèse, ce goût du texte pour lui-même, cette logique analytique qu’on trouve dans les premières gloses et dans les apparats tardifs. Les exemples ne manqueraient pas pour illustrer cette tendance. Ainsi, fait-on la théorie des actions, alors que les juges dont parle le Corpus luris ont disparu ; ainsi, cultive-t-on le Droit canonique dans des commentaires d’une infinie précision sur les titres du Code et des Novelles concernant l’Église, en faisant table rase du Décret de Gratien et des collections de Décrétales qui circulent, déjà nombreuses avant Grégoire IX, dans tout l’Occident ! Le Droit romain paraÎt détaché de tout contexte historique ; c’est à croire que les romanistes vivent en un cercle hermétiquement clos, d’une science se suffisant à elle-même, en ce monde si bouleversé du XIIe siècle. Rien n’est plus illusoire que de s’abandonner à ces apparences.

Il faut bien considérer, tout d’abord, que cet esprit abstrait trouve sa plus légitime explication dans le fait qu’il correspond à un premier stade, absolument irremplaçable, de la Romanistique médiévale, celui de l’exploration suivant la découverte de l’imposante compilation justinienne. En second lieu, la méthodologie médiévale est littéraliste et suppose, dans tous les secteurs de la connaissance, l’éxégèse. D’autre part, le Corpus Iuris était – fait d’une profonde psychologie – considéré comme un tout.

S’il n’est pas question de nier l’importance de ces constations, il est non moins incontestable que ces faits ont une contrepartie. Très tôt, à ce qu’il semble, des préoccupations pratiques se remarquent chez les Glossateurs. Cette remarque, trop souvent négligée, vaut qu’on y insiste ; elle est essentielle à notre propos.

Déjà les gloses au Corpus et les commentaires aux compilations de Droit féodal contiennent des indications fort nettes sur cette tendance20. En outre, la personnalité de plus d’un professeur autant que la mentalité des étudiants devaient inévitablement orienter l’enseignement dans un sens éminemment pratique. Sans cette recherche des rapprochements, si souvent attestés, avec la politique ou les données sociales contemporaines, le Droit romain n’eût pas soulevé un tel engouement. D’ailleurs, la méthode de cet enseignement, si peu sclérosé, conduisait à faire du Droit romain non pas une science abstraite, mais un instrument de raisonnement juridique. L’attachement au texte se double, en effet, de la dialectique. Cette méthode, qui sur le plan des notions aida si puissamment au développement de l’idéologie du Ius commune, est à l’origine des quaestiones et des brocarda, pièces maîtresses de la littérature romaniste. Les questions, en particulier, dont la technique se précise dans les écoles dès le XIIe siècle, montrent par d’innombrables exemples que les Glossateurs n’eurent jamais pour les réalités pratiques le dédain qu’on leur prête21, s’efforçant au contraire d’établir par leur enseignement des liens effectifs entre le Droit de Justinien et l’univers juridique, politique, voire religieux de leur temps22. Les romanistes du XIIe s. et à plus forte raison ceux du XIIIe s., italiens ou non, ne furent pas voués à la contemplation du Droit contenu dans le Corpus, désormais anachronique. Ce Droit de savants ne fut pas pur Droit savant : il sut dépasser les règles qu’il analysait en même temps qu’il en fit progresser la technique.

L’évocation de ces quelques faits suffirait à elle seule à marquer les nuances nécessaires. Mais, il y a plus et la portée de l’esprit d’abstraction des Glossateurs doit être réduite à des limites étroites. Un fait, dont on mesurera plus loin l’importance, est à signaler : le rôle de la doctrine romaniste dans la formation du Droit canonique classique à partir du pontificat d’Alexandre III23. Si l’inséparable histoire des deux Droits nous montre leurs échanges, il est à remarquer que la pénétration du Droit romain dans le Droit de l’Église fut surtout œuvre doctrinale. Rares sont les Décrétales qui, introduisant un texte romain, ne tranchent pas un point controversé. Quant aux commentaires du Décret, des Compilations ou de la Collection de Grégoire IX, la plupart d’entre eux appartiennent visiblement autant à l’histoire du Droit Civil qu’à celle du Droit Canon. Le Droit romain vivant est donc avant tout celui de l’Église qui apparaît finalement comme l’agent principal de l’orientation du Droit romain vers des fins pratiques au Moyen Âge ; la première, elle sut donner l’exemple, non sans torturer les textes, d’une utilisation consciente et raisonnée. C’est cette tradition qu’il faut avoir en vue quand on aborde l’œuvre des docteurs d’Orléans.

 

B) Après le temps d’arrêt que représente la diffusion de la Grande Glose24, le signal d’une rénovation du Droit romain médiéval, dont les doctrines pouvaient paraître à jamais figées dans la compilation d’Accurse, devait partir d’un groupe de professeurs français à peu près tous ecclésiastiques, comme Meijers eut raison de le relever25. Mais, l’illustre historien n’a pas donné à ce fait le relief qu’il mérite. Il n’y a pourtant pas pure coïncidence. Les maîtres orléanais, dont les écoles françaises devaient adopter les méthodes et l’esprit, sont dans l’exacte tradition canonique née au XIIe siècle, à la fois attachée au commentaire textuel et sensible à l’aspect positif des problèmes.

Mais, ne forçons pas les contrastes. Accurse eut, certes, des idolâtres et il y eut bien réaction. Cependant, on aurait tort de croire à une rupture entre deux écoles au XIIIe s. Non seulement les Orléanais n’ont pas systématiquement récusé la Glose ordinaire26, mais plusieurs manuscrits semblent attester qu’ils y ont apporté des additions27. Le même jugement vaut pour les Toulousains28. Notons également que les maîtres français utilisent des procédés didactiques qui n’ont aucun caractère de nouveauté et dont la modernisation se remarque à la même époque à Bologne. Loin de disparaître, le procédé de la glose se renouvelle29, fait absolument négligé des historiens contemporains. On peut même douter que les français soient responsables des transformations, d’ailleurs difficiles à cerner, de la lectura30 qui unirait désormais des genres jusqu’alors dispersés ; j’accorde qu’on puisse opposer l’œuvre de Révigny à celle d’ Azon, mais les contrastes s’estomperaient définitivement en prenant pour second terme de la comparaison l’anonyme commentaire sur le Code du MS Paris, B.N. 4546, œuvre maîtresse, sans conteste italienne, d’une qualification si délicate. Bien d’autres faits encore attestent la continuité de l’histoire méthodologique et soulignent la gratuité de nombreux jugements dont le seul titre est l’ancienneté.

L’authentique originalité de l’école française sur ce terrain paraît devoir être recherchée dans la manière dont fut conçue l’analyse textuelle. On a attaché une importance excessive à la forme extérieure de l’exposition, dont certains éléments sont certainement empruntés à des disciplines non juridiques. L’absurde accusation d’avoir introduit la dialectique scholastique a concentré l’attention sur des aspects secondaires de la forme. Le fait capital réside dans la transformation technique de l’éxégèse, notamment par la position du casus31, comme l’a remarqué dans une démonstration convaincante M. Chevrier à propos de Révigny32. De la manière d’entendre le casus dépend toute la lectura. Il est également à noter l’importance de l’expositio litterae33, qui dépasse, par l’approfondissement, les anciennes explications grammaticales dont l’époque d’Irnerius était déjà familière34.

Cette maîtrise dans le commentaire nous intéresse surtout en ce qu’elle est l’un des signes de l’indépendance par rapport à certains prédécesseurs, italiens ou non. Parmi d’autres preuves de liberté, il est juste d’insister sur la fécondité de la méthode dans ses rapprochements avec la pratique, préoccupation si violemment et si injustement reprochée aux Orléanais. Il est aisé de comprendre l’accentuation de l’orientation du Droit romain vers des fins pratiques, qu’on constate partout à la fin du XIIIe siècle35. À noter enfin une attitude franchement différente à l’égard du Droit Canon positif, qu’on feint de moins en moins d’ignorer36. La plupart de ces traits se retrouvent chez Bartole.

 

2.

Si la voie des emprunts de Bartole à l’école française est connue37, nul ne sait aujourd’hui avec une exactitude suffisante ce qu’il en advint pour oser poser de fermes jugements. La conclusion de ce Congrès sera sans doute une invitation à entamer enfin des études qui restitueront Bartole à lui-même38. On ne répètera jamais assez que la confusion des idées, entretenue par la passion des siècles passés, sur les définitions de base interdit actuellement les synthèses définitives. Quant à l’autre branche du problème que j’aborde ici : la portée pratique et le développement en France des doctrines romanistes aux XIVe-XVe siècles et débuts du XVIe, les historiens savent à quoi s’en tenir sur la médiocrité de leur information. S’il est hors de propos de prétendre résoudre en quelques lignes une telle masse de difficultés, du moins peut-il être utile de souligner les points certains et de s’efforcer d’envisager correctement les perspectives.

 

A) Le premier fait certain, c’est la modernité de Bartole. Entendons par là qu’il n’a rien d’un révolutionnaire à la manière dont le fut, deux siècles auparavant, Martinus Gosia, acharné dans la contradiction. Bartole évoque l’épanouissement plutôt que la rupture. S’il est libre et indépendant39, il l’est au sens où on l’était déjà cinquante ans avant lui ; il prolonge et achève les tendances des maîtres français40. Soucieux de l’exactitude du texte avec une conscience d’Humaniste, comme le prouve une célèbre anecdote41, préoccupé de comprendre l’esprit des lois (mens iuris), respectueux, sans en être servile, des opinions et décisions de la Glose d’Accurse, par tous ces traits il apparaît comme le digne successeur des grands interprètes du XIIIe siècle. Sans doute, sa langue est-elle parfois d’un latin audacieux, mais les Orléanais avaient, eux, poussé l’audace jusqu’à faire des cours en vulgaire42. Ce n’est donc pas là que gît la nouveauté. Bartole n’est pas non plus l’inventeur d’un genre particulier ; tous ceux qu’il a cultivés avec un égal succès se retrouvent chez ses prédécesseurs et par ses gloses, devenues si communes dans les manuscrits 43, il se rattache à la plus pure tradition des premiers glossateurs.

Dans l’histoire de la glose, qui aboutit à la repetitio et à la lectura, Bartole offrirait la phase ultime d’un mouvement dialectique. En effet, dans le développement de la méthode depuis Irnerius, tout se passe comme si les genres, à l’origine indifférenciés et peu à peu issus d’une croissante abondance des gloses qui les contenaient tous en germe, étaient devenus au XIVe siècle les serviteurs de la glose, après avoir vécu une vie séparée, durant plus d’un siècle. Seule, la quaestio devait continuer, pour des raisons suffisamment claires44, une vie autonome. En revanche, il est frappant de voir le casus, les generalia, les distinctiones, les brocarda surtout, s’intégrer, pour ainsi dire, dans la glose et lui donner une consistance logique plus ferme. Cette transformation de l’éxégèse, qui finit par présenter l’aspect d’un théorème, déja notée à Orléans et fort accusée chez cet intermédiaire que fut Cinus, trouve son achèvement dans l’œuvre de Bartole. Cette évolution explique le succès de la lectura, genre qui unit l’esprit synthétique de la Summa à l’exacte érudition des gloses autrefois compilées dans les apparatus.

Cette technique formelle du raisonnement n’a pas seulement l’importance d’un style de pensée ; elle commande la pensée même. Si cette dernière doit être ou non qualifiée de scholastique, ce qui compte n’est pas le respect d’un schéma déterminé, mais plutôt, comme l’a vigoureusement souligné M. Coing, l’état d’esprit dans l’utilisation de la tradition45. Le noeud du problème est dans cette distinction. Certes, à l’instar de tous ses prédécesseurs, lointains et immédiats, Bartole a vis-à-vis du Corpus Iuris une attitude non historique et non critique. Mais, comme le montre sa théorie politique, Bartole affirme à l’égard de la philosophie de son temps une indépendance certaine, même si par bien des côtés ses conceptions reflètent la mentalité et la conjoncture politiques du XIVe siècle46.

La souplesse de la méthode, héritée des Orléanais, sert de soutien à la diversité des préoccupations. La largeur de vues en politique, l’importance des développements consacrés aux problèmes canoniques, le libéralisme de la théorie des renonciations, les conceptions réalistes en matière de statuts, tous ces faits illustrent l’invasion de la pratique dans la Romanistique Bartolienne47. Ici encore, c’est l’achèvement. La tendance est, d’ailleurs, générale : en France, Jean Faure, contemporain du maître de Pérouse, entend bien lui aussi lier la science et la pratique48. Bartole appartient à une génération49. Mais, faisons la part des risques. La technique du commentaire est devenue complexe. L’appareil de références, destiné à marquer l’importance des concordances et des oppositions, pièce essentielle de la dialectique médiévale depuis ses premiers développements50, s’alourdit. Sans doute, Bartole est-il généralement sobre dans ses renvois aux autorités, mais la Glose Ordinaire lui facilitait la tâche. Pas plus que certains auteurs d’Apparatus avant Accurse, les successeurs de Bartole ne réussiront à échapper aux dangers de l’érudition. Le Bartolisme sera l’exagération de ces tendances et se verra rapidement voué à l’anarchie : pour l’en prémunir ou l’en guérir, il eût fallu une seconde Glose Ordinaire ou une nouvelle loi des citations, remèdes d’un autre âge.

 

B) Bartole est indépendant de son destin. Ce n’est pas à lui qu’on doit reprocher d’avoir inculqué à ses successeurs tous ces défauts rassemblés sous l’appellation, du reste mal contrôlée, de Bartolisme. L’attitude des premiers disciples italiens, d’un Balde par exemple, n’a rien qui puisse soulever l’indignation. Même débarrassée de ses allusions malveillantes, l’expression, à vrai dire, n’a pas pour tous ceux qui l’emploient une commune signification51. Néanmoins admettons le mot et tâchons de sortir de la confusion. Autant de manières de s’inspirer de Bartole, autant de Bartolismes. Le seul Bartolisme à nous intéresser ici, c’est celui qui devait peser sur l’évolution et provoquer la réaction Humaniste ; c’est celui des faux disciples ; il est synonyme de décadence et la négation de l’esprit de Bartole. Cette mutation de Bartole en Bartolisme, semble avoir été rapide. Le XVe siècle, une fois faite la part des éxagérations et de nos ignorances sur son histoire, fut certainement dominé en Italie par une aveugle admiration des opinions du maître de Pérouse en même temps que l’éxégèse ne fut plus, bien souvent, qu’un art de la forme. Art abstrait, que son abstraction même tendait à rendre de moins en moins utilisable52.

On a certainement éxagéré les incidences du Bartolisme sur la pratique du temps. À l’image qu’on s’est faite, on pourrait penser que le facteur déterminant de la formation des Droits européens depuis la fin du XIVe siècle jusqu’à la Renaissance fut la persévérance d’hommes de lois retors, habiles à multiplier les chicanes, servis dans leurs entreprises par la sottise des romanistes de leur temps. Sans doute, tout n’est-il pas faux dans un tel tableau, mais je croirais plutôt que les extravagances des Bartolistes furent des exercices d’école et ne touchèrent guère le Palais. L’exemple français, autant qu’on puisse actuellement le décrire, paraît à cet égard hautement significatif. Dans la ridicule vénération dont Bartole fut l’objet la France ne fut pas épargnée, mais nul n’en serait pour autant tenté de voir dans le fameux « Résolu comme Bartole »53 la règle d’or de la jurisprudence du Moyen Âge français finissant. Tout concourt, d’ailleurs, à donner l’impression que la pénétration du Droit romain dans les différentes régions françaises s’est faite alors en excluant partout l’automatisme, selon des rythmes variés54 et de façon fort mesurée. Nous sommes là aux antipodes du Bartolisme, cherchant à tout reporter au Droit romain.

Du côté des théoriciens, des romanistes tout au moins, le schéma serait plus exact. Trop de faits semblent indiquer une influence du Bartolisme qui produira longtemps chez nous d’authentiques rejetons55. Cependant, il serait faux d’éxagérer et la France fut certainement moins touchée que d’autres pays par la déformation bartoliste56. Les auteurs, authentiquement fidèles à l’esprit, sinon à la méthode de Bartole, les indépendants, furent toujours nombreux, à ce qu’il semble. Etienne Bertrand en fut l’un des plus remarquables57. D’autre part, dans les grands centres universitaires, les doctrines de Bartole furent très rapidement connues et utilisées par les professeurs. On en tiendra sans doute quelque jour la preuve définitive pour Orléans : un petit lot de manuscrits, du Digestum vetus notamment, dont plusieurs se signalent pour y avoir été probablement en usage, montre la succession chronologique des gloses58 ; parmi celles-ci, les commentaires de Bartole figurent en nombre important. Voilà qui incline au scepticisme quant à une prétendue domination des Bartolistes chez nous et il est prévisible qu’une connaissance approfondie59 de nos écoles pour cette période assouplira encore sur ce point les convictions.

Tel paraît être le bilan du Bartolisme en France: modéré sur tous les plans60. Il y aurait grand avantage à séparer définitivement les problèmes. Bartole n’est point le Bartolisme. La perspective serait assurément différente si, versant dans les confusions des Humanistes, on attribuait à la Romanistique bartolienne les déformations que lui fit subir une partie des auteurs postérieurs. Le culte idolâtre61 d’une autorité et la liberté dans le commentaire ou l’utilisation du texte s’excluaient. La France fut touchée par le Bartolisme, mais dans l’ensemble paraît être demeurée dans la ligne d’une tradition plus ancienne, celle des Orléanais et de Bartole. Il est aisé d’entrevoir l’enthousiasme qu’allait soulever chez nous l’Humanisme, restaurateur de la liberté d’examen.

II. Le «Barbare» et les «Purifiez»

 

Notre Ancien Droit a forgé le schéma de sa propre histoire et les auteurs qui recueillirent son héritage l’ont cru. « Cujas inaugure le second âge de la Jurisprudence, son âge d’or ». Cet aphorisme mythologique résume assez bien les sentiments d’aveugle admiration pour « l’homme de génie », le Purificateur qui apparaÎt enfin « après plusieurs siècles de barbarisme »62. Cette imagerie, à laquelle étaient encore sensibles nos devanciers du début de ce siècle, n’est pas invention récente ; elle servit déjà aux juristes dits Humanistes pour exprimer la profonde conscience qu’ils avaient de la supériorité de leur méthode et de leurs conceptions sur celles attribuées sans distinction à Bartole et à ceux qui vinrent après lui ; l’histoire et la philologie devaient permettre d’épurer le Droit romain : aux « bartholistes et barbares » succédaient les « purifiez et grammairiens»63.

Cette connivence64 des auteurs à plusieurs siècles de distance peut surprendre ; elle s’explique par l’incapacité où l’on fut longtemps de traduire en termes scientifiques tout ce vocabulaire symbolique qui, à vrai dire, a valeur d’apparences. Si aujourd’hui la voie paraît tracée, il reste encore bien des points obscurs et il s’en faut que la révolution du XVIe siècle, si révolution il y eut, soit unanimement reconnue pour ce qu’elle fut, notamment en France où aucun essai d’explication n’a été tenté depuis la synthèse, aujourd’hui contestée65, de Flach à la fin du siècle dernier. J’essaierai de tracer à grands traits une interprétation de la querelle ouverte par les Humanistes autour de Bartole sur le thème de la Purification du Droit.

Mais le mental n’est pas tout et le débat eut une portée pratique dont l’observateur diligent doit s’efforcer de percevoir les prolongements lointains. En traitant de ce problème après le précédent, je n’entends nullement poser que le premier explique et domine le second ; le tableau d’un Droit produit et dirigé par des idées est trop simple pour être vraisemblable66. Seulement, malgré l’erreur d’optique qu’elle peut comporter, une telle succession dans l’exposé présente l’avantage d’aborder d’emblée ce que nos devanciers considéraient comme le noeud des problèmes.

 

1.

Analysé à suffisante distance, l’Humanisme apparaît dans toute sa signification : une philosophie de soulagement. Le mouvement prend son unité, ses contradictions deviennent intelligibles sous condition d’être replacés dans leur milieu d’origine : l’avènement du libre examen et l’affermissement du fait national, fondements de la conjoncture socio-politique au XVIe siècle. Effectivement, la doctrine, parfaitement ambiguë à première vue, de la « Purification » coïncide dans tous ses thèmes et toutes ses manifestations avec ces données essentielles. Elle exprime un double conflit, rationaliste et nationaliste.

 

A) Le mythe du Moyen Âge « gothique »67, autre expression du thème de la  « purification », énonce dans un style presque populaire la hâte du siècle à se libérer du joug des autorités traditionnelles par la critique.

Sur le plan passionnel, les vigoureuses condamnations portées contre les romanistes des trois derniers siècles sont significatives du nouvel état d’esprit68. Parmi les maudits, Bartole figure au premier rang69. Certes, le prestige du maître de Pérouse n’avait jamais été sans partage, même en Italie d’où partirent les premières injures70. Mais la polémique humaniste, engagée outre-mont dès le XIVe siècle, se développa chez nous au XVIe s. avec une violence inégalée. Imitant les Italiens, la nouvelle école se révolta contre Bartole et les Bartolistes pris en bloc, s’indigna contre ce qu’elle ne comprenait plus, en des termes qui sont bien dignes du siècle de Rabelais71. Les « cerveaux enrouillés »72 firent horreur ; on parla «d’ordure»73. Les œuvres de tous les maîtres français convertis aux belles-lettres, des très grands comme des moindres, pourraient être appelées ici en témoignage. Quant à la «barbarie», motif officiel des sarcasmes, elle entame plus directement le procès. Si Pasquier monte en épingle « le latin grossier »74 de Bartole et de ses imitateurs et leur offre en exemple « le beau latin parsemé de belles fleurs d’histoires et sentences »75, le grief est lourd de sens. Les commentateurs, en effet, ont écrit en une langue déplorable, pour avoir méconnu la littérature ancienne. Finalement, les railleries du style sont une critique de la méthode. Les seuls commentaires qui puissent désormais compter doivent être ceux des Anciens ; si l’on veut pénétrer la signification des textes du Corpus Iuris, il faut rejeter les gloses et additions pour restituer le Droit romain tel qu’en lui-même. Ce programme d’épuration, tracé par Budé76, devait être mis en œuvre par ses successeurs. Il s’agit de restituer le droit romain dans sa vérité historique, de faire disparaître ce qu’Hotman nommait « les ténèbres »77, c’est-à-dire les gloses. Partout s’illustrent ces tendances, notamment chez Cujas auquel il faut toujours revenir, puisque son destin devait être d’incarner l’Anti-Bartole. Nous le voyons rechercher d’abord le lien historique des lois, s’efforcer de reconstituer les ouvrages des jurisconsultes à l’aide de leurs fragment et, dans l’analyse des textes, utiliser toutes les sources capables d’aider la compréhension. Il était dès lors facile d’accuser les interprètes du Moyen Âge, surtout ceux qui suivirent Accurse, et particulièrement Bartole, leur « capitaine général »78, de ne point comprendre le sens des mots et d’aboutir souvent à des explications dogmatiques79. Leur maîtrise de la philologie et de l’histoire ouvrait ainsi aux Humanistes des perspectives jamais entrevues, supériorité qui fit leur propre admiration. Pour peu qu’on y réfléchisse, toutes ces critiques apparaissent vite marquées d’un intellectualisme très prononcé. Révolte de cabinet, non pas du Palais. Que pouvaient en retirer les gens de justice ? Il n’était pas sûr qu’ils y gagnent. Les avocats, en effet, sont souvent dénoncés par les Humanistes comme les profiteurs de la corruption de la méthode et de l’esprit juridiques tant reprochée à Bartole. On leur fait grief d’une superstition du Droit romain, « sophistiquerie »80 intéressée qui, comme le dit Pasquier, a pour but « d’apprivoiser les plaideurs farouches »81. La basoche n’a pas bonne réputation, en raison même de son idolâtrie pour le Droit romain. On recherche dans le Corpus n’importe quoi, pourvu qu’on finisse par y découvrir l’aliment du procès au prix de tous les accommodements du texte et sans s’inquiéter de distinguer entre l’opinion de jurisconsultes classiques et l’avis des docteurs. Pour rétablir l’ordre naturel des choses, il faudrait séparer la science de la pratique, cesser de mêler « la théorique et pratique ensemblement »82. Cette exigence porte en elle la condamnation de l’usus modernus pandectarum.

 

B) Ainsi, insensiblement sommes-nous introduits dans une logique dont on omet généralement de relever les contradictions. En réalité, les contrariétés, que j’aborde ici, sont résolues d’elles-mêmes dès qu’on les transporte au plan du nationalisme juridique.

Des tendances profondément autonomistes des juristes français du XVIe siècle83, les preuves abondent. L’hostilité à Bartole en est une manifestation particulièrement nette84. Les Humanistes semblent avoir eu pour constant souci de cultiver l’originalité de leur Droit national, du moins en France. Un Pasquier le répète à satiété85 ; s’il rejette l’ineptie de tout reporter au Droit romain, d’alléguer Bartole à tout propos, il n’en réduit pas pour autant à néant le rôle du Droit romain dans la formation du Droit français. La règle d’or étant de se libérer d’une « superstitieuse servitude », à cette condition « nous pouvons  faire nostre profit ». Il s’agit donc, non pas de transposer en bloc un Droit qui nous est étranger, mais de choisir parmi ses règles celles qui, reposant sur le « sens commun», peuvent nous convenir86. En réalité, les règles romaines dont on médite la réception n’auraient plus de romain que le nom. Pour apprécier la force de ces convictions, il suffit de constater que, sur ce point, même les plus conciliants refusèrent de transiger. Un regard d’ensemble sur la doctrine en persuade aisément.

Dans ce bouleversement que fut l’Humanisme, les conciliateurs définissent l’orthodoxie, face aux exaltés, aux adversaires résolus et aux indifférents. Les exaltés, en effet, tel Le Duaren87, hostile à Bartole comme à toute doctrine héritée du Moyen Âge, n’eurent guère d’audience. Le succès des adversaires paraît souvent tenir à des circonstances fortuites ; tel fut le cas de cet heureux rival de Cujas à Toulouse, collectionneur plutôt que romaniste, surtout connu pour ses invectives à l’adresse des Humanistes88. Les opposants sérieux, dont l’influence est difficile à mesurer, sont représentatifs d’un courant d’idées conscient des exigences réelles du temps et qui réclame une étroite liaison de la science et de la pratique ; comme on le verra plus loin, l’Humanisme dominant ne pouvait mépriser une aussi légitime exigence89. Quant aux indifférents, à côté d’un vulgarisateur comme Descousu90, on rencontre un médiocre, Tiraqueau91, dont le prestige m’est une énigme, et de grands noms : d’Argentré et Dumoulin92, conservateurs intelligents, et quelques auteurs d’une égale indépendance mais de moindre stature93. En définitive, ceux dont l’avis devait principalement compter furent les conciliateurs : Cujas, Pasquier, Doneau.

La voie de la conciliation était double. Tranchons tout de suite l’option : les raisonnements de Doneau94 devaient faire de lui un dissident ; ses idées ne pouvaient inspirer confiance en France où leur auteur allait rester incompris. L’opposition de Doneau à Cujas ne tient pas seulement à des querelles personnelles ; elle est fondamentale. Sans doute, le premier a-t-il repoussé lui aussi les vaines discussions des Bartolistes. II donne également tous ses soins à l’explication des textes par l’histoire et la philologie. Mais, il avait un goût, démodé ou trop précoce – je ne jugerai pas de ce point – des constructions systématiques : d’où ses critiques du plan des Pandectes et l’ampleur de sa théorie du Droit. L’essentiel de ses conceptions tient dans ses développements sur l’excellence du Droit romain qui répond à la définition du Droit, science du bien et du juste. Droit universel, le Droit romain tendait ainsi à perdre toute coloration nationale, mais dans un sens qui signifiait sa réception intégrale. On voit que les synthèses de Doneau étaient finalement la négation de l’esprit historique, relativiste et nationaliste, ainsi que l’entendaient les grands maîtres français de l’Humanisme. Elles étaient pourtant un pont jeté avec le Moyen Âge, un moyen de concilier Bartole et Cujas sans trop renier de l’un ni de l’autre ; elles représentaient la possibilité de promouvoir l’usus modernus sans rejeter les exigences de la méthode historique.

L’intransigeance des Humanistes français devait trouver là ses limites. L’exemple de Pasquier a déjà montré plus haut que leur instinct national n’allait pas jusqu’à l’exclusion absolue du Droit romain. Au surplus, il ne pouvait en aller autrement. Dans la France coutumière d’alors, l’idée de la codification générale d’un Droit national était à peine conçue et, sur le terrain pur scientifique, l’histoire ne signifiait nullement la fin de l’éxégèse à la manière où le Moyen Âge l’avait mise en œuvre. À partir d’ici peut se mesurer la réalité de la rupture avec Bartole.

La suprême indépendance des Humanistes français fut la conscience de leurs emprunts. Leur sincérité est inscrite dans les louanges qu’adressent à Bartole, Pasquier ou Cujas, avec plus de liberté qu’Alciat encore trop proche des Bartolistes95, dans un style qui n’est pas celui des excuses ni du scrupule96. Ne nous étonnons pas : les esprits sont si proches, les méthodes si complémentaires. Les faits parlent d’eux-mêmes.

Il est déjà remarquable que, malgré leur dégoût pour les auteurs du Moyen Âge, les maîtres qui chez nous donnèrent le ton n’ont pas manqué de curiosités, à preuve leur intérêt pour les manuscrits qu’un Cujas ou un Pasquier collectionnaient volontiers97, sans trace de manie. On pourrait également montrer ailleurs leur respect de la tradition : l’analyse des formes d’exposition permet de constater que sur bien des points les romanistes du XVIe siècle n’ont pas brisé l’évolution97bis. Enfin, la fréquentation de ses œuvres fait vite douter que Cujas ait vraiment rompu avec les docteurs qu’il vitupère ; grand connaisseur de Bartole, malgré ce qu’insinue son principal historien98, il s’en fit parfois le défenseur contre les avocats ignorants99. Quant aux disciples, on ne s’étonnera pas qu’ils n’aient pas non plus négligé Bartole : dans la bibliothèque de Christofle de Thou100, les ouvrages du docteur italien ne furent sans doute pas un ornement.

Mais, il y a plus. La manière dont Bartole utilisait le Droit romain se retrouve trait pour trait chez ces Humanistes. Cujas lui-même n’a pas été un pur historien du Droit romain101, ce qu’on oublie trop souvent. Pas plus que Bartole aurait été un romaniste utilitaire, Cujas ne fut un romaniste abstrait. L’examen des cas concrets posés dans ses Consultationes, pour la discussion desquels il en appelle parfois à Bartole, suffirait à faire justice des conceptions erronées qui sont encore répandues. Plus significatif est le cas de Pasquier. Dans son commentaire sur les Institutes, il offre au lecteur un traité des banalités ! S’il a conscience de l’anachronisme, il traité la banalité en servitude102. Bartole n’eût pas fait mieux.

Voilà qui rompt le charme des oppositions sur lesquelles repose le schéma historique traditionnel. À vrai dire, les oppositions ne sont pas là où on croit les trouver. L’ Humanisme ne fut pas sectaire. Ce que signifie «Purification» du Droit, c’est l’indépendance : indépendance dans l’interprétation du Corpus Iuris comme dans le choix ou l’appréciation de la valeur des règles à transposer en Droit français. En répudiant le poids des autorités, en s’attachant à maintenir ses traits originaux, le XVIe siècle a secoué le joug des automatismes et des routines.

C’est le Bartolisme qu’il visait. Dans de telles conditions, le retour simultané à la pure tradition bartolienne n’est pas seulement compréhensible, mais paraît naturelle. En bien des sens, Cujas prolonge Bartole. Plus que révolution, il y eut rénovation. Il reste à expliquer pourquoi se sont maintenues certaines apparences tout au long de notre Ancien Droit.

 

2.

La querelle humaniste aurait clarifié la situation si elle avait été immédiatement suivie d’une codification, revendication logique d’Hotman103, qui fut sans aucun doute le plus clairvoyant de l’École. Une telle entreprise n’étant pas possible, il arriva ce que Cujas n’avait pas prévu : un malentendu essentiel sur les sévères propos tenus au XVIe siècle à l’adresse de Bartole. Les suites furent graves et le désarroi de la doctrine ne s’explique que par là. Le Droit positif, lui, ne parait pas avoir pâti de la prolongation d’un débat qui, après les codifications napoléoniennes, ne touchera plus que les professeurs.

 

A) Du XVIe siècle aux codifications, les juristes français ont vécu sur l’espoir d’un « Droit commun », notion incertaine et confuse104 qui donnait, du moins, l’illusion que le Droit français existait comme l’avaient prédit les Humanistes. Autre avantage d’un concept aussi flou : il se prêtait à toutes les expériences. Dans les interprétations et les orientations que celui-ci rendait possibles, le Droit romain de Bartole eût pu jouer un rôle efficace et créateur. C’est d’ailleurs bien ainsi que l’entendait Cujas. Or, on constate dans les doctrines un très net recul à la fois des idées et de l’esprit de Bartole. Simultanément, l’Humanisme, s’éloignant de ses origines, devint conformiste : certains réflexes, certaines routines, signes de la décadence, évoquent les fautes tant reprochées aux Bartolistes. Cette conjonction des contraires explique bien des choses ; ses causes méritent réflexion.

Le premier fait, qui étonne, fut le déclin chez nous de l’enseignement du Droit romain. On mesure encore mal l’importance de ce phénomène devant lequel les historiens français demeurent indifférents105. Sa genèse est, en tout cas, fort simple à retracer. Cujas – j’utilise sciemment un vocabulaire simplifiant106 – fut mal compris. Les maîtres en restèrent aux invectives des Humanistes ; les griefs adressés à Bartole furent pris à la lettre ; on n’alla pas chercher les raisons, encore moins établir les distinctions, indispensables sous peine de fausser le sens. Le Droit romain se réduisit à une science hermétique, à une recherche gratuite, à la connaissance théorique d’un Droit mort. Les romanistes contemplent hors de leur temps107. Aussi, la plupart d’entre eux évitent-ils les rapprochements avec les institutions de Droit canonique ou coutumier, méthode qui eût donné de fructueux résultats, comme le montrent de trop rares traités108. L’inadaptation de l’enseignement était patente. Des conservateurs se perdent en regrets, tel Charles de Lorry au XVIIIe siècle évoquant avec mélancolie les Universités d’Allemagne et des Pays-Bas109. On s’explique, dans ces conditions, l’urgence d’une réforme, déjà partiellement réalisée par la création des chaires de Droit français sous le règne de Louis XIV. Les professeurs de Droit français firent figure de novateurs ; beaucoup parmi eux méprisaient le Droit romain confondu avec celui de leurs maîtres. Quelques-uns, cependant, soucieux d’expliquer, en appellent aux textes du Corpus et même à Bartole110. Ils furent exception. Il n’est donc pas étonnant que se soit répandue l’idée que le Droit romain est une science vaine, parce qu’inutile ; ce courant d’opinion, hostile à l’enseignement même du Droit romain devait trouver appui chez tous ceux qui partageaient le goût de l’utile et l’horreur des Révélations sous toutes leurs formes : les Philosophes111.

Hors de l’Université, chez d’autres auteurs et chez les praticiens, une constatation singulière et trop peu remarquée nous attend : Bartole y apparaît, pour ainsi dire, submergé. Voici pourquoi et comment.

Ne perdons pas de vue que les bouleversements qui prennent l’allure de révolutions, même les intellectuels, évoluent souvent en reniant leurs origines. La querelle des méthodes au XVIe siècle avait été un mouvement d’indépendance tout comme aux XIIIe et XIVe siècles l’école française et Bartole avaient réagi contre le culte de la Grande Glose et une certaine sclérose des doctrines. Dans les deux cas, l’indépendance fut brève et le culte d’un grand fondateur devint vite une obsession. Cujas eut le sort de Bartole et, si la doctrine des XVIIe-XVIIIe siècles fut dominée112 par d’innombrables autorités anciennes ou modernes, le maître de Toulouse y occupe un rang privilégié. Vraiment incomparable, son nom devint l’objet d’un véritable culte, analogue à l’idolâtrie dont on a tant parlé à propos des Bartolistes. Cujas a tout compris, tout éclairé ; il devint indiscutable que « sans le secours des livres de ce jurisconsulte il est impossible de bien entendre les loix romaines et même de sortir de l’ignorance » 113. Les litanies à la gloire de Cujas s’enrichiront d’expressions jusqu’au XXe siècle. Dans les faits, ce prestige se traduisit par une préférence marquée pour Cujas, par un recours parfois automatique à ses avis dans les cas difficiles. Duplessis et bien d’autres sont souvent pris sur le fait114 ; il serait aisé de multiplier les exemples qui tous illustrent cette nostalgie inconsciente d’une loi des citations. Une étude plus attentive permettrait d’ailleurs d’établir un ordre hiérarchique dans ce recours aux autorités. Parmi les modernes, Dumoulin et, plus tard Domat, émergent nettement. Pour tous les autres la concurrence paraît égale. Bartole est submergé par le flot. Mais, s’il n’a aucune précellence, son influence persiste115, autant que celle des auteurs italiens postérieurs qui avaient été dès le Moyen Âge le véhicule de sa pensée et dont les noms fleurissent toujours après la Renaissance et malgré l’Humanisme. Pour tout dire, la doctrine de l’Ancien Régime donne l’impression d’un amalgame d’autorités que tendrait à dominer Cujas. Elle était de la sorte un guide mal assuré pour le Droit positif. Le Droit romain fut révéré, mais nul ne put fixer son rôle exact : les beaux discours réunis par Doujat, sur la ratio scripta116 ne forment pas un code des lois, aussi bien que les considérations « géométriques »117 de Domat.    

 

B) Le Droit positif fut préservé ; incontestablement, il resta dans la ligne que traçait Pasquier et pour lui la « Purification » fut une réalité. C’est dire que l’influence de Bartole n’en est pas exclue. Quant à mesurer cette influence, voilà une question insoluble pour longtemps. Il nous manque, en particulier, pour juger, de connaître avec précision ce que la Jurisprudence fit dire au « Droit commun », la part du Droit romain dans ses audaces ou ses routines, les inspirateurs de ses variations et de ses constances. Je me contenterai de relever quelques faits et d’indiquer les diverses branches du problème. 

 L’influence de Bartole fut présente dans tous les secteurs. Le fait est certain pour les Coutumes rédigées, comme le soulignait déjà Pasquier, toujours bien informé118. Le même remarquait, malheureusement en nous privant des détails, que certains arrêts des Parlements s’en remettaient aux avis du Docteur italien119. Là encore, il faudrait procéder par analyses minutieuses de certains points très précis et orienter les sondages en distinguant selon les données de la géographie juridique de notre ancienne France. Ainsi, les arrêts du Parlement de Douai, terrain d’élection pour une semblable enquête en raison de l’influence espagnole qu’on y perçoit et des formes insidieuses qu’y prit la résistance à l’assimilation française, contiennent des renseignements surprenants120. D’une manière générale, la complexité coutumière, les multiples centres d’attraction de la Jurisprudence et la forme même des décisions rendent fort délicat de suivre dans les arrêts le cheminement des opinions doctrinales et de retrouver la source utilisée. Le seul point certain paraît être que, lorsqu’elle applique le Droit romain, la Jurisprudence n’établit aucune hiérarchie entre les docteurs, si toutefois elle s’en préoccupe121. L’inspiration doctrinale paraît tenir aux hasards ou aux circonstances.

Ainsi, les doctrines de Bartole sont un élément utilisable parmi d’autres. Dans la recherche d’un « Droit commun » Bartole paraît n’avoir été utilisé ni plus ni moins que tous ceux auxquels le Droit français sera finalement redevable. Le pragmatisme du Droit positif relègue bien loin les violences adressées à Bartole.

L’indécision du Droit français, contrepartie de son indépendance, devait être tranchée, ainsi que l’avait prévu Daguesseau122, par la volonté unificatrice d’un homme. Sans doute, les codifications napoléoniennes ont-elles liquidé la vieille querelle en supprimant pour l’avenir le problème des ingérences de Bartole dans notre Droit positif. Mais, l’idée fausse d’un abandon de Bartole au bénéfice exclusif de Cujas par l’Ancien Droit a engendré l’erreur d’un Cujas à qui auraient été empruntées, par certains relais il est vrai, les règles de Droit romain que laisse découvrir le Code Civil par exemple123. Or, comme le démontre ailleurs M. Foyer124, Bartole se survit dans nos Codes, par l’intermédiaire des compilateurs mis à contribution lors des rédactions125. De la sorte, l’étude de Bartole reste d’actualité dans les perspectives de la doctrine civiliste contemporaine dont le rôle est avant tout d’explication, non plus d’inspiration.

C) Une fois déterminée la place du Droit romain, et partant celle de Bartole, dans l’édification du Droit français, la querelle n’en était pas pour autant tout à fait éteinte. Cette sorte de folklore doctrinal que sont les injures à l’adresse de Bartole fut transmis. La littérature juridique du XIXe siècle est aussi passionnée qu’aux siècles précedents. Si Bartole ne fut pas jugé digne de figurer parmi « les noms immortels »126, si ses œuvres paraissent avoir été vouées à l’oubli127, Cujas fut porté aux nues128.

Certes, les historiens romanistes n’ont pas hérité d’une phraséologie parfois ridicule et cherchèrent plutôt à esquiver les positions nettes. Mais, leur détachement n’est qu’apparent et ils ne purent éviter l’aspect didactique du problème : la question de l’enseignement d’un Droit romain déjà jugé encombrant lors de la Révolution française129. Dans leurs fréquents examens de conscience130, les romanistes, depuis le XIXe siècle, jugèrent rarement utile de critiquer le legs qu’ils croyaient avoir reçu de Cujas. Cet objectivisme abstrait, parfois teinté de scientisme et soutenu en France par une longue tradition d’hostilité officielle à Bartole, ce pur historicisme au sens où l’entendaient sous l’Ancien Régime ceux qui ne comprenaient plus la portée de la « Purification » humaniste, devaient conduire à négliger la Romanistique médiévale. Malgré les remarquables et brillantes tentatives d’illustres maîtres, le décalage entre la science romaniste et l’enseignement du Droit positif s’est accentué. Il en est résulté, pour une part qui n’est probablement pas négligeable, les difficultés d’aujourd’hui. Les développements actuels de l’anti-romanisme n’ont rien d’irritant ; ils doivent être traités en symptômes.

 

Conclusion

L’histoire de Bartole et de ses liens avec la France, au Moyen Âge et dans les Temps Modernes, n’a donc pas l’harmonie qu’on lui prête souvent. La méthode et l’esprit du maître italien étaient en germes bien avant lui ; l’Humanisme n’a pas entendu abolir son influence, mais seulement s’affranchir et libérer le Droit français des superstitions du Bartolisme ; enfin, s’il fallait caractériser et mesurer son influence, ce serait une erreur certaine d’évoquer la brusque rupture, peut-être même le déclin131. Les torts de l’opinion courante, comme du vocabulaire, devront être un jour redressés. C’est au développement de l’histoire des sources qu’il appartiendra de lever les doutes. Cependant, l’analyse des convictions successives des romanistes quant à l’objet même de leurs études souligne quelques évidences d’un utile enseignement. Le premier fait rappelé est que la Romanistique s’est constamment accompagnée d’une sorte de mystique. Le prestige a produit ici un culte dont la dogmatique n’a guère varié du Haut Moyen Âge à la Révolution française132. Nous touchons là aux traits les plus caractéristiques de la mentalité juridique et historique jusqu’à une époque fort avancée. Mais, cet idéal savant, nullement populaire133, avait une contrepartie : les dissensions des écoles, constatation aussi importante que la précédente. Bartole et Cujas représentent, pour ainsi dire, deux points de cristallisation autour desquels se sont forgées des représentations collectives sur le rôle et la portée du Droit romain. Ces simplifications par symboles répondaient aux transformations concrètes de la conjoncture politico-juridique en Europe134 : le Bartolisme fut le sous-produit de la suprématie politique du Droit romain en Occident ; l’Humanisme, qui en France allait s’accomplir après maint détour dans les codifications, fut l’une des formes de l’aspiration à l’autonomie nationale. 

À partir du début du XIXe siècle, le Droit romain n’eut plus d’autre justification que scientifique et les romanistes perdirent la foi tout en conservant parfois un rituel anti-Bartolisme135 appartenant à un Humanisme dépassé. Peu à peu ils devaient cesser « de se laisser picquer par une fausse gloire »136, abandonnant progressivement une attitude quelque peu théologique137. L’illogisme est que la connaissance de la Romanistique intermédiaire et l’histoire du Droit romain de l’Antiquité n’aient pas progressé au même rythme.

 

1. Aucune méthode historique n’est exempte de telles illusions qui rassurent beaucoup d’historiens sur leur pouvoir d’explication. De nos jours, certaines professions de foi sociologique sont, à cet égard, pleines d’enseignement.

2. La richesse et le nombre des manuscrits conservés conduiront un jour, il faut l’espérer, à l’élaboration d’un plan collectif de travail qui, en répartissant les tâches, permettrait enfin de mettre au jour tant de sources inconnues. Les règles d’une telle entreprise seraient plus aisées à établir pour le XIVe siècle que pour les XIIe-XIIIe s., en raison notamment du fait que la séparation de la Romanistique et de la Canonistique y est bien plus nette.

3. Le Manuel de G. LEPOINTE, Hist. des Institutions et des faits sociaux (987-1875), Paris 1956 offre un exemple caractéristique. Bartole y est présenté comme ayant «des buts très pratiques», approximation héritée de l’Humanisme où le jugement prenait la forme d’une accusation. L’auteur, d’autre part, estime Bartole pour « un esprit supérieur », mais aucune distinction n’est faite dans sa descendance spirituelle et les Bartolistes sont condamnés en bloc pour les vices qu’on leur attribuait déjà au XVIe siècle: « ouvrages rebutants » «latin parsemé de langage vulgaire». Comme le suggère une comparaison avec l’historiographie ancienne, cette tradition incontrôlée est seulement exprimée aujourd’hui en un style adouci

 4. Si on laisse de côté les appréciations des Humanistes (cf. la 2e partie de cet exposé) qui donnèrent le ton, la réunion des dissertations ou jugements sur Bartole permettrait de composer un Anti-Bartole qui formerait un copieux volume. Voici un échantillon significatif : « Bartole venu dans un temps où on empruntait de la barbarie des écoles, toutes les façons de penser et de s’énoncer, sema la jurisprudence des subtilités de la dialectique. Il y fit passer la doctrine des Arabes… Bartole fait un usage immodéré de son savoir corrumpu. Il emploie des distinctions si fréquentes et si frivoles qu’il hache sa matière ; et les parcelles qui en résultent sont dissipées par l’étalage d’esprit de l’auteur, comme par le vent. Il ne faut donc point s’étonner que ses écrits soient obscurs, pleins d’épines et qu’il semble avoir parlé theutonique. Ces défauts sont ceux de son siècle qui, abandonnant les sources pures de la doctrine péripatéticienne, puisait, pour ainsi dire, dans la fange des Arabes… Il a formé une école de jurisprudence favorable aux chicanes du barreau et fatiguante» . Dictionnaire Universel raisonné de Justice Naturelle et Civile (par les Encyclopédistes d’Yverdon) 1777, 2, v° Bartole. On notera, cependant, que les mêmes auteurs n’hésitent pas à joindre la louange à l’injure : « Ses ouvrages lui font beaucoup d’honneur. Après y avoir expliqué les choses d’une manière générale, il les ramène à l’usage ; fait passer ses lecteurs de l’école au barreau, et joint à merveille la spéculation à la pratique (ibid.). Exemple, parmi tant d’autres, de l’ambiguïté des sentiments suscités par l’œuvre de Bartole.

Dans le concert des réprobations, quelques voix discordantes, tel MORERI dont le Grand Dictionnaire Historique, Paris 1759, 2, v° Bartole, ne contient aucune allusion malveillante. Mais cet objectivisme paraît refléter plutôt une indifférence qu’on rencontre également chez certains praticiens comme TERRASSON, Hist. de la Jurispr. romaine, Paris 1750, 410. Les historiens français du XIXe siècle ont fréquemment exprimé l’écœurement traditionnel à l’égard du Bartolisme, ce qui depuis l’Humanisme inclue Bartole. Si le style des condamnations et la hiérarchie des fautes reprochées varient d’un auteur à l’autre (GIRAUD, Hist. du Dr. romain, Paris 1847, 460. Dunois, Leçon d’ouverturein Rev. Hist. de Dr., 12 [1866], 562), l’unanimité se retrouve dans l’évocation du mauvais latin et, surtout, de la dialectique ou de la scholastique. Pour le XXe siècle, je citerai deux grands noms. BRISSAUD, dans son Hist. du Dr. français public et privé (édit. de 1904), 1, 214-215, ne distingue pas non plus et reproche à la scholastique d’avoir « tué… tout talent littéraire ; …les Bartolistes se distinguent entre tous les jurisconsultes par leur mauvais goût et la barbarie de leur style». GIRARD, lui aussi ne prise guère « les procédés de la dialectique scholastique » (toujours elle!) et qualifie les œuvres des Post-Glossateurs en général de “littérature indigeste”:.. Manuel élém. de Dr. romain (8e éd.) Paris 1929, 95. L’hostilité à Bartole, l’anti-Bartolisme, on le voit, ne se sont guère renouvelés.

5. Cf. le Manuel déjà cité de G. LEPOINTE où les traditions successives forment un ensemble d’une singularité qu’on s’expliquera à la fin de cet article.

6. On en tirerait d’utiles enseignements sur l’importance et la variété des phénomènes d’imitation d’où naissent les conformismes, si nécessaires à la stabilité d’un Droit, et sur la fonction des damnationes memoriae dans les conversions juridiques.

7. La bibliographie est ici abondante. J’avertis le lecteur que j’en réduirai les indications, ne pouvant prétendre, en une telle matière, être exhaustif en quelques pages. Au surplus, on trouvera dans l’excellent travail de MAFFEI, Gli inizi dell’Umanesimo giuridico, Milano 1956, une synthèse critique des connaissances actuelles. Des classiques, il faut principalement retenir : BERRIAT SAINT PRIX, Hist. du Dr. romain, suivie de l’ hist. de Cujas, Paris 1821; FLACH, “Cujas, les Glossateurs et les Bartolistes”, extr. de la Nouv. Rev. Hist. de Dr. 1883.

8. Si la Renaissance et l’Humanisme ont fait en France l’objet de recherches pénétrantes (cf. quelques titres très récents cités dans MAFFEI, Gli inizi, 12-13, 187), sur le point précis abordé ici nous en sommes toujours aux généralités de Flach.

9. Etienne PASQUIER, Lettres, Livre 9, lettre 1 (à Brisson).

10. J’extrais cette heureuse formule des notes anonymes du MS Paris Bib. Nat., fr. nouv. acq. 22.255, f. 162 v (XVIIIe s.).

11. Les auteurs qui les ont abordés, directement ou non, en ont souvent réduit les dimensions. On notera cependant une progression certaine dans l’élargissement. Si FLACH aborda l’un des premiers l’aspect passionnel des problèmes, VAN DE KAMP (Bartolus de Saxoferrato, Amsterdam 1936; j’ai utilisé la traduction italienne), plus préoccupé de description que l’explication, en a réduit l’intérêt. MEIJERS (compte-rendu de ce dernier ouvrage, à nouveau publié dans la réédition de ses grands articles, tome 3 1959) a perçu l’ampleur des travaux à accomplir que de récentes études s’efforcent d’éclairer d’un jour nouveau (en particulier, ceux de CALASS0, Media Evo del Diritto, Milano 1954; et MAFFE!, op. cit.): D’autre part, ce Congrès sera l’occasion de reviser bien des points de vue et suscitera d’utiles travaux. Peu avant l’édition de cet article, viennent de paraitre quelques conclusions de G. K1scH, Bartolus und Base/, Base! 1960; dans la perspective du présent travail, on lira avec un intérêt particulier le chap. consacré à « Bartole dans la lutte entre le mos italicus et le mos gallicus à l’Univ. de Bâle», 20s.

12. Droit privé canonique aussi bien que Droit privé laïque. Sur ce point, les traités des canonistes gallicans peuvent fournir des indications, notamment dans les matières bénéficiales. On étudierait avec fruit, également, la Glose de la Pragmatique Sanction de Bourges, commentaire qui si souvent fait allusion aux auteurs italiens du XIVe siècle et passablement cité par la suite ; (cf. par exemple, Doujat, fort imprégné de Bartolisme, Specimen juris ecclesiastici, Paris 1680, 54).

13. Sous la réserve notable que le rôle joué ici par l’école française du XIIIe s. est maintenant reconnu.

14. À noter que le terme de Commentateurs utilisé par les historiens allemands n’est guère plus adéquat.

15. L’histoire du Droit est, sur ce point, fort en retard par rapport aux études de théologie médiévale. Les juristes n’ont pas suscité un GRABMAN. Même l’histoire des procédés formels d’exposition reste a faire. On trouvera d’excellents aperçus sur cette matière dans E.A. QUAIN, The medieval accessus ad auctores, Traditio 3 (1945), 215-264. 

16. Il est vraiment étrange de relever une telle simplification chez un auteur comme P. de T0URT0UL0N, pourtant si expérimenté en fait de littérature juridique médiévale. (Le Velléien chez les Glossateurs, Etudes d’hist. juridique P.F. GIRARD, 1912, 1, 423 et 430). Même si on tente de l’expliquer par son contexte, elle n’en témoigne pas moins de la négligence d’un certain nombre de faits essentiels. Cette appréciation se retrouve chez plusieurs historiens du Droit romain, mais là elle n’étonne plus. Ainsi, CuQ, Manuel des Institutions juridiques des Romains, éd. 1917, 71: « La méthode suivie par les Glossateurs avait le grave défaut de laisser de côté l’application pratique du Droit ».

17. GIRARD exprimait cette idée nettement. Les préliminaires de la Renaissance du Droit romain, Rev. Hist. de Dr., (1922) 5-46 : « On sait comment l’édifice péniblement élevé par l’effort des deux activités convergentes et pourtant opposées des glossateurs et des bartolistes se trouva brusquement renversé au 16e siècle ».

18. Cf. BERRIAT-SAINT-PRIX, op. cit. 295 . Ainsi, !’Humanisme ne ferait que continuer l’éxégèse inaugurée par Irnerius; WESTRUP exprime nettement cette idée: Notes sur Cujas, Studi… P. B0NFANTE, 1929, 3, 131-132.

19. Les Orléanais sont tenus généralement pour responsables de cette invasion scholastique. Ainsi, DUMAS qualifie Révigny « d’introducteur de la méthode scholastique ». Les origines romaines de l’art. 1150 du Code Civil, Etudes… P.F. GIRARD, 2, 102.

20. Sur ce point, MEIJERS, Les Glossateurs et le Droit féodal, Tijdschrift voor Rechtsgeschiedenis (Revue d’Hist. du Droit), 13, (1934), 129-149. Cf. d’autres exemples dans un MS britannique particulièrement intéressant, London, Lambeth Palace 27 (Casus Codicis, f.231-295r fin XIIe s.), notamment f.290v et 252v.

21. Le jugement de CUQ déjà cité (note 16) représente l’opinion commune. De rares auteurs ont exposé la thèse absolument inverse ; ainsi, GINOULHIAC, «De l’étude et de l’enseignement de l’hist. du Droit en France», extr. de la Revue de législation et jurisprudence, 1945, 7-8, tient l’ancienne école pour « bien moins scientifique que pratique».

22. Cf. une question de Droit coutumier, par exemple, traitée dans Avranches 141, f. 248 v (conflit entre la cout. de Paris et celle de Chartres à propos des droits du mari à la mort de sa femme).

23. Voy. en dernier lieu. G. LE BRAS, Institutions ecclésiastiques de la Chrétienté médiévale, 1, Paris, 1959, 72-73.

24. Je reprends ici, non sans scrupules, l’appréciation courante sur l’autorité de la Glose d’Accurse, présentée comme un phénomène d’apparition brutale. Or, les choses ne semblent pas aussi simples et, ici encore, il y aurait à juger la tradition. Les gloses se transmettent et font l’objet de discussions dès le début du Xlle siècle ; cf. l’allusion aux glosule interlineares de G. dans une glose du MS Lincoln Cathedral 143, f.60 v. Quelle fut, par exemple, l’autorité des commentaires bolonais dans l’école anglaise ? Les textes d’Irnerius, des Quatre Docteurs, de Rogerius, de Placentinus, etc… paraissent y avoir été recueillis comme de véritables autorités ; l’ordo Olim en fournit une démonstration remarquable, cf. l’un de ses plus riches MSS, Paris, Bib. Nat. 3922A.

25. L’Université d’Orléans, réédition, 8.

26. L’opinion selon laquelle l’École française aurait systématiquement répudié la Glose et qui paraît remonter à Balde, est illustrée par l’anecdote rapportant le débat au cours duquel Révigny triompha du fils d’Accurse qui reproduisait les thèses de son père. Cette discussion sur la constitution Cum pro eo (C. 7, 47), qui aurait eu lieu à Orléans, ne comporte rien qui permette d’en tirer des conséquences générales. (Cf. l’exposé de DUMAS, loc. cit., 102 n° 3). D’autre part, il est constant que les Orléanais n’ont jamais critiqué par esprit de contradiction les solutions de la Glose. S’ils les réprouvent parfois (par exemple, Guido MS Arsenal 693, f.lv), cela démontre qu’ils n’en sont pas esclaves, au contraire de ces avocats dont Cinus ridiculisera l’idolâtrie (texte dans CHIAPELLI, Vita e opere giuridiche di Cino da Pistoia, 1881, 189).

27. Cf. deux exemples fort nets : Vat. lat. 1426, f.207v; Paris, Bib. Nat. 8939, f.143r.

Le MS du Vatican, non cité par MEIJERS, est d’un intérêt particulier, en raison de la variété des commentaires qu’on y trouve : gloses de l’école italienne, de Toulouse et surtout d’Orléans. Pour Orléans, les grands noms y sont cités (Révigny, Belleperche) comme de moins connus (Eudes de Sens, par exemple) ; cf. notamment un commentaire important signé : ia. de re. et pe. et aurelianenses, f.255v.

28. Oxford, Bodl. Library, lat class. b. 1, f.26r (addition signée : tholosani); Gerona, Bibl. del Seminario 156 (ou : VI. III. 9 ; cotation incertaine), f.118r. (addit. de Guil. de Cuneo?).

29. Il y aurait de nombreuses remarques à faire avant de porter des jugements définitifs sur les gloses orléanaises; je ne pense pas qu’il soit légitime d supprimer le problème, comme le faisait POGNON, parlant des « prétendues gloses» de Révigny (J. de Révigny, Jurisconsulte à Orléans entre 1260 et 1289. Ecole des Chartes, Positions des Thèses 1934, 133). Aux listes données par MEIJERS et complétées par les éditeurs des articles sur Orléans et Toulouse, d’autres manuscrits doivent être ajoutés (quelques additions seront indiquées dans un prochain compte-rendu à paraitre dans Tijdschrift. 1961). Ces gloses ressemblent étrangement à celles des romanistes du XIIe siècle, la plupart du temps moins prolixes que celles de l’époque d’ Accurse. Il semble qu’on revienne à plus de concision. Les remarques qu’on trouvera plus loin (note 43) à propos des gloses de Bartole sont tout autant valables ici.

30. L’histoire de la lectura n’est que le prolongement de celle de la glose. L’évolution du vocabulaire serait à considérer de très près, le mot legere s’utilisant fréquemment dans les gloses du XIIe s. dans le sens très précis d’interprétation littérale; cf., par exemple, Oxford, Magdalen College 258 (MS des Institutes, XIIe - XIIIe s. ne figurant pas dans le catalogue de Coxe; non folioté) (feuillet 13r ?) : « Rogerius hune paragraphum Jegit hoc modo… :1>.

31. L’évolution du casus depuis les premières gloses est assurément capitale et le relevé des recueils de casus serait fort utile. Une telle histoire serait à faire en liaison avec celles de la quaestio et de l’exemplum (notion souvent ambiguë); la quaestio apparait parfois comme le simple développement du casus, ainsi dans Je MS Lambeth 27, déjà cité, notamment f.287 et 290 v.

32. Je fais allusion à une conférence de cet éminent historien à l’institut de Droit romain (Paris) en 1956 : Remarques sur la méthode suivie par les Romanistes de l’Ecole d’Orléans au Xllle siècle. J’emprunte de précieuses indications à la dactylographie déposée à la bibliothèque de cet Institut.

33. CHEVRIER, Remarques…, 16.

34. Le souci de suivre la littera du texte est souvent exprimé dès les ancien? nes gloses. Cf. une glose paraissant critiquer un commentaire signé y écrit en marge dans le Ms Lincoln Cathedra! 143, f.149r: « hec glosula littere contradicere videtur -

35. Cf. les nombreux problèmes de Droit coutumier envisagés dans quelques questions d’Angers publiées par FITTING, Questions de Droit disputées à Angers et à Paris, Rev. Hist. de Droit 29 (1905), 709-736. On citera également un traité anonyme sur les actions, appartenant vraisemblablement à la production toulousaine du début du XIVe siècle, dans le MS Oxford, Bodl. Library, Laud lat 3, :f.58-59 et 180. Cette découverte, due à KANT0ROWICZ, est consignée dans son propre catalogue manuscrit mis à la disposition des lecteurs, 11-12.

36. Voyez, par exemple, un texte significatif de Belleperche (à propos de C. 1. 26. 2) publié par FOLMER, Le Droit privé transitoire ou intemporel au M. Age, Tijdschrift …., 11 (1932), 312. Ce problème mériterait une analyse approfondie; il n’y a pas lieu, à mon avis, de généraliser quelques faits, probablement isolés, comme tendait à le faire MEIJERS (L’Université d’Orléans, 113).

37. Cinus de Pistoie a servi d’intermédiaire. MEIJERS en a donné une illustration sur un point précis: La théorie des Ultramontains concernant la force obligatoire et la force probante des actes sous seing privé, Tijdschrift …, 12 (1933), 62. Le rôle de Cinus doit être souligné; c’est probablement la diffusion et la con? naissance de son œuvre qui firent pénétrer les idées des Orléanais dans les écoles italiennes. On en trouverait notamment la suggestion en étudiant les gloses du MS Vat. lat. 1420: nombreuses gloses de Cinus et d’auteurs Italiens alléguant ses œuvres ou les opinions de Révigny et Belleperche.

38. M. PARADIS! a franchi le pas le plus important. Il faut vivement louer son entreprise d’un relevé d’ensemble et d’une étude comparative des manuscrits de Bartole.

39. L’esprit d’indépendance et de liberté de Bartole est surtout connu pour ses doctrines politiques. Le fameux: « Hodie Italia est tota plena tirannis > est rappelé par F. CALASS0, Medio Evo del Diritto, 697.

40. MEIJERS l’a justement souligné en conclusion de son étude sur Orléans.

41. Incertain sur le texte d’un fragment des Pandectes cité à l’occasion d’un procès, il envoya consulter le MS de Pise. SAVIGNY, Geschichte d. romischen Rechts im Mittelalter, 1834, 3, 479.

42.  Sur ce point, le témoignage de J. FABER, à trois siècles de distance, n’est peut-être pas convaincant. Voy. ses propos rapportés par A. RIVIER, Une lecture de l’Université d’Orléans, 1384-1386. Revue de législation, 1874, 659, qui cite aussi une tradition concordante au XVIIe siècle (660).

43. Ces commentaires ont été rarement remarqués. PATETTA, Contributi aUa storia del Diritto romano, 1891, 2, 20-21 (MS Vat. lat. 1434); LEFEBVRE, De quelques fragments d’une lectura de J.. DE MONCHY sur le Code, Tijdschrift …, 26 (1958), 295. Il serait fort utile d’examiner ces gloses. Voici une liste de quelques manuscrits contenant des gloses signées Bar. (Pour la plupart d’entre elles, l’attribution a Bartole de Saxoferrato ne peut faire de doute), le plus grand nombre appartenant aux différentes parties du Digeste: Chantilly, Musée Condé 722 (Institutiones) (f.8v). Gerona, Bib. del Seminario, 155 (ou: VI. III. 8; cotation incertaine). Madrid, Archivo Historico Nacional, 1300 (Codex), 7. Oxford, Bodl. Library, Lat. elass. b. 1. Paris, Bib. Mazarine, 1408; Bib. Nat., 4456, 4462, 4464, 4480, 4482, 4484, 4485, 8939, 8941 (Codex), 1608. Roma, Bib. Casanatense, 228, 229, 230 (Codex); Bib. Vaticana, Vat. lat. 1418, 1423, 1426. Il n’est pas aisé de préciser la nature exacte de ces gloses qu’il est même difficile dans certains manuscrits, fort confus à cet égard, de relier à un texte précis. J’ai cru cependant déceler une addition à la Glose Ordinaire dans le MS d’Oxford, f.26r ( ?) et dans Vat. lat. 1426, f.118r. Il faudrait naturellement, pour être en mesure de juger, comparer ces divers commentaires avec les lectures de Bartole. MEIJERS, qui s’était trouvé en face du même problème pour Orléans et Toulouse, s’était abstenu de donner son avis. D’une comparaison que j’ai faite pour Révigny je n’ai rien retiré de probant. La question ne parait pas très différente de l’appréciation des gloses de l’époque pré-accursienne. Nous retrouvons ici la nécessité d’une histoire des méthodes d’enseignement.

44. Notamment, du fait qu’elle n’est pas liée directement à l’éxégèse de tel ou tel texte du Corpus.

45. Die Anwendung des Corpus Iuris in den Consilien des Bartolus, Studi… P. KOSCHAKER, Milano 1954, 1, 77: « Die scholastische Methode ist aber mehr ais die Befolgung eines bestimmten Denkschemas. Sie ist eine Geisteshaltung, die durch eine ganz bestimmte Zielsetzung charakterisiert wird ». Cf. les développements ultérieurs de l’auteur sur la place que joue la tradition des autorités pour atteindre des jugements rationnels.

46. Les conceptions politiques de Bartole sont, à vrai dire, bivalentes. Sensible, comme tous ses contemporains, à la mystique Impériale, il s’efforce, comme eux, de concilier l’Empire et les pouvoirs politiques particuliers sur la base de distinctions dont on retrouverait aisément l’origine chez ses lointains prédécesseurs du XIIè siècle. Mais il sait dépasser les abstractions de la philosophie et percevoir les points de rupture avec le passé. Voy. WOOLF, Bartolus of Sassoferrato, His position in the History of medieval political thought. Cambridge 1913; cf. sur la question de l’Empire, 208 s. Sur l’ouverture de Bartole aux problèmes de son temps, F. CROSARA rappelle quelques faits significatifs, Spunti Bartoliani, Annali d. Facoltà di Giurispr. dell’Univers. di Camerino, 19 (1952), notamment 82.

47. J’allègue principalement ici la théorie des renonciations, que MEYNIAL, avait si bien jugée (Des renonciations au M. Âge et dans notre Ancien Droit, Rev. Hist. de Dr., 1901, extr., 31) et l’intérêt porté par Bartole aux problèmes canoniques. (On trouvera sur ce dernier point des indications substantielles dans SHEEDY, Bartolus on social conditions in the fourteenth century, New York 1942; cf. surtout la magistrale communication à ce Congrès du Doyen LE BRAS.).

48. BOYÉ, Notes sur Jean Faure, Etudes… P. Petot, Paris 1959, 33 n. 20.

49. Une étude comparative serait fort utile et instructive, en précisant la méthode d’auteurs tels que Rie. MALUMBRA (t 1334), Jac. DE BELVISIO (1270-1335), Jac. BUTRIGARIUS (1274-1347), Oldradus DE LODI (t 1335), Alb. DE ROSATE (t 1354). On ne saurait isoler Bartole de ses contemporains. II est probable qu’en ce domaine nous vivons sur des mythes. M. CALASSO essaie de reconstituer toute l’école dans Medio Evo del Diritto, 577s.

50. Beaucoup de gloses anciennes ne sont que des listes de textes pour et contre. (Exemples de la formation de telles gloses dans le MS Vat. lat. 1406). II faudrait ici alléguer les Sommes de brocards dont il existe de nombreux manuscrits.

51. On aimerait savoir, en particulier, l’importance numérique des auteurs arbitrairement désignés de Bartolistes. Les modernes, à l’inverse des Humanistes, paraissent souvent hésiter à citer des noms. II y aurait d’utiles espèces à introduire dans le genre; ainsi, pourrait-on légitimement opposer Bartoliens et Bartolistes, les premiers maintenant l’authentique tradition de Bartole, les second englobant tous les sectateurs.

52. CUQ a noté que les Bartolistes « n’ont pas le sens du réel et ne tiennent aucun compte de l’expérience et de l’observation des faits». (Institutions, 17), appréciation exacte, pourvu qu’on la réserve aux Bartolistes, dans le sens précis où ce terme devrait étre pris (cf. la dernière note). Sous cette réserve, le jugement de CUQ apparait plus fondé que celui de BRISSAUD selon lequel les Bartolistes étaient « à la fois des théoriciens et des praticiens> (Hist., 213).

53. Sur cet adage, PASQUIER, Recherches de la France, 8, 14.

54. Même dans les régions méridionales. P. TISSET, Mythes et réalités du Droit écrit. Études… P. Petot, 556.

55. Dont paradoxalement on cite généralement les noms pour le XVIe siècle, le plus illustre des médiocres étant sans conteste Forcade!. FLACH, op. cit., 24. Cependant, il est à croire que cette lacune provient d’une incomplète information, sinon on devrait penser que nos Humanistes s’élevèrent contre des abus dont la France seule aurait été préservée. On peut, d’ailleurs, évoquer les noms de Basin (1412-1491) et Descousu (né vers 1840) à qui est due une réédition annotée de Bartole.

56. Je suis ici de l’avis de FLACH, moins la confusion (de Bartole et des Bartolistes): c L’influence de Bartole nous touche mais elle ne nous pénètre pas: l’esprit français est trop logique pour accepter une création aussi bâtarde que celle des Bartolistes > (op. cit., 24). Bartole ne fut sûrement pas tenu en France pour l’Evangile (l’expression est de P. de Castro, cf. CROSARA, Spunti 74) et les cathedrae Bartoli sont une pratique qui ne parait pas avoir été reçue chez nous comme à l’étranger (CROSARA, Spunti 94).

57. P. OURLIAC, Droit romain et pratique méridionale au XVe siècle, Etienne Bertrand, Thèse Paris 1937. L’auteur note fort justement (47) que B. « reste fidèle à Bartole », ce qu’illustrent de nombreux exemples. Ses consultations sont dans l’exacte tradition de la Romanistique bartolienne et il est à souligner que Bertrand sut garder sa liberté d’interprétation. Cependant, on perçoit une légère tendance (contamination de Bartolistes ?) à suivre Bartole systématiquement dans quelques cas particuliers d’obscurité (M. OURLIAC l’a noté, 49), ce qui gâte un peu le tableau. D’autres auteurs pourraient être invoqués, tel ce Jean BARBIER étudié par STINTZING (Gesch. d. populiiren Literatur 1867, 199, 234, 553), puis par Rivier (Jean BARBIER et son viatorium iuris, Rev. de législation 1873, 213-239). Ici point de science ni de subtilité, mais ce juriste (fin du XVe s.) est lui aussi dans la tradition bartolienne. Illustration supplémentaire de l’utilité des accommodements du Droit romain.

58. Je ne puis, pour l’instant, parler que de probabilité. Il s’agit de quelques-uns des MSS parisiens. Les MSS 4462 et 4480 sont à citer spécialement pour la variété des commentaires qu’ils contiennent. Il est notable, dans le premier, qu’une glose unit pour sigle final les noms de Révigny et Bartole : f.260r.

59. Approfondissement difficile. Que sont devenus les commentaires qu’ont probablement composés des auteurs dont Rivier a relevé les noms (Une lecture de l’Université d’Orléans, loc. cit., 662-663) pour la fin du XIVe siècle?

Cependant, certaines œuvres orléanaises tardives (ainsi, la lectura sur les institutes de Jean de Mâcon, MS Mazarine 1416, f.1-93) donnent à penser que le Bartolisme n’a guère touché un enseignement qu’on considère trop facilement comme décadent.

60. Une comparaison avec ce qu’on voit dans d’autres pays confirme l’impression d’une singularité du Droit français. Sur le problème général de l’autorité de Bartole, quelques indications d’ensemble dans FLACH, op. cit., 17 et 23, et surtout dans KOSCHAKER, Europa und das römische Recht, Munchen 1947, 105.

61. Le terme d’idolâtrie, rappelons-le, est de Cinus qui le dirigeait contre les adorateurs des Glossateurs aux dires de Fulgosius. CHIAPPELLI, loc. cit., ibid. L’accusation fera, chez les Humanistes, une belle carrière.

62. Me DECOUS LAPEYRIÈRE, Discours sur Cujas prononcé le 2 Décembre 1848 à la rentrée des conférences de l’ordre des avocats, Paris 1848, 3 et 11.

63. Expressions de Fr. HOTMAN. Texte dans FLACH, op. cit., 25-26.

64. Depuis une cinquantaine d’années, le mépris à l’égard des Post-glossateurs en général s’est atténué progressivement. Au début du siècle, BESTA notait déjà une nette tendance à les réhabiliter. Baldo e la storia letteraria del Diritto, Perugia 1900 (estr. del vol. in onore di Baldo), 13.

65. MAFFEI, op, cit., 159.

66. Au surplus, une telle conception serait aujourd’hui démodée! Nos contemporains se font des illusions plus neuves que celle-là, Sur le point qui nous intéresse ici, il est évident que nos connaissances de la conjoncture juridique de la fin du XVe siècle et des débuts du XVIe s. sont par trop sommaires pour autoriser à présenter une explication valable de l’apparition de l’Humanisme dont on connaît principalement l’aspect doctrinal.

67. DELARUELLE, Guillaume Budé, Thèse Lettres, Paris 1907, 102 n° 3.

68. Sur cet état d’esprit, DELARUELLE, op. cit., 96 s., est une mine de renseignements. Voy. également MAFFEI, op. cit., 33 s.

69. PASQUIER, Recherches de la France, Liv. 8, ch. 14: « Le temps produisit une infinité de docteurs qui descouvrirent leurs conceptions en un latin grossier, dont les juges font souvent leur profit. Mais de tous ceux-là Bartole fut par l’ancienneté le capitaine général ». Il est vrai que ce jugement de Pasquier se nuance plus loin en raison de l’estime particulière qu’il porte à Bartole. D’une manière générale, on doit remarquer que tous les grands Humanistes ont exprimé des sentiments contradictoires sur Bartole, comme aussi sur Accurse. Ces contradictions, on le verra plus loin, trouvent leur explication.

70. Voy. à ce sujet, P.E. VIARD, André Alciat (1492-1550), Thèse Droit Nancy 1926, 118 s.

71. Cf. le texte souvent cité de RABELAIS, Pantagruel, 2, 10. Tous les grands noms évoqués lors de la querelle humaniste resteront en mémoire chez les auteurs littéraires pendant longtemps ; mais, n’allons plus chercher les distinctions chez un Boileau dont la fantaisie unit Accurse et Alciat pour les couvrir du même ridicule (Le lutrin, chant 5).

72. Cf. L’Antitribonian ou Discours sur l’estude des loix, 1567.

73. Ibid.

74. Recherches de la France, 8, 14.

75. L’interprétation des Institutes de Justinien, 1847 ; cité par l’éditeur dans l’introduction, page C.

76. DELARUELLE, op. cit. 103s.

77. Annotationes in Pandectas, Paris 1642, 14: « Sic Paulus Castrensis, sic Felinus dixit, inquiunt: sic denique unusquivis ex illa turba scriptorum, qui luculentis priscorum consultorum cimmerias (ut dicitur) tenebras multis in lacis offuderunt ».

78. PASQUIER, ibid. Ailleurs, Bartole est nommé le « confanonnier de tous les autres »; Lettres, livre 19, lettre 15.

79. À propos du trésor. Pasquier accuse Benedicti de ne pas connaître les textes ; L’Interprétation des Institutes, 245.

80. PASQUIER, L’Interprétation des Institutes, 236.

81. Lettre 15: « C’est un leurre pour apprivoiser le plaideurs farouches, et pour nourrir les opiniastres en leurs opiniastretez : car jamais advocat n’est en ce subject sans parrein ».

82. L’expression est de PASQUIER (Recherches de la France, ibid.) qui qualifie par elle (sans aucune morgue d’ailleurs) l’esprit de Bartole.

83. WESTRUP, Notes sur Cujas, Studi… P. Bonfante, Pavia 1929, 3, 148-149. Il faut noter la nécessité d’établir bien des distinctions. À cet égard, les Romanistes furent sans aucun doute des modérés, l’intransigeance conduisant un Fabre à la suite d’un Bodin à condamner la tyrannie scientifique du Droit romain. Ces auteurs démontrent par leurs œuvres que le nationalisme juridique se concevait au XVIe siècle de bien des façons ; cf. plus loin, note 88.

84. Dans les critiques à Bartole et aux Bartolistes (tout comme dans celles adressées en bloc aux Accursiens) une certaine xénophobie est parfois perceptible. Il y a beaucoup d’agressivité dans le patriotisme des Humanistes.

85. Un récent historien de Pasquier, quelque peu dupe de certaines apparences, notait cependant avec vérité : « Si Pasquier est hostile au Droit romain ( ?), c’est qu’il n’a pas été adopté par eux (les rois de France) dès l’origine, mais qu’il est venu par la suite « s’insinuer entre nous», c’est-à-dire se surajouter à nos vieilles coutumes ». BOUTEILLER, Un historien du XVIe siècle, Etienne Pasquier, Humanisme et Renaissance, 6 (1945), 367. Il n’y a donc en France de Droit romain que reçu, ce qu’exprime un praticien contemporain de Pasquier, dont l’Humanisme s’accorde avec un goût de l’érudition gratuite, hérité du Bartolisme : Philibert Bugnyon, avocat à Lyon, Traicté des loix abrogées et inusitées en toutes les cours du royaume de France, Lyon 1563, 4 : « Pour doncq n’estre le Roy de France asseruy ny subject es loix Romaines, ny aultres, il luy est permis, si bon luy semble, d’en user, ou de faire particulièrement d’aultres toutes nouvelles». Cette idée se retrouvera au XVIIe comme au XVIIIe s. : le Droit romain peut s’appliquer en France, reçu par nos rois ; cf. DOUJAT, Historia juris civilis romanorum, Paris 1678, 82. Le Camus, Arsenal 671, f.15 v.

86. Lettres, Livre 9, lettre 1 (à Brisson pour le féliciter d’avoir composé son fameux code) : « Vous nous enseignez à n’estre plus aulbains en nostre pais… Nos ordonnances… peuvent maintenant faire teste à toutes celles de Rome». Cette lettre contient la doctrine Humaniste sur la place que peut tenir le Dr. romain en France: « Je dy doncques que c’est grandement errer, de vouloir, devant la face de nos juges, confirmer ou infirmer indistinctement le droit de nostre France par celuy des Romains, en une telle si non contrariété pour le moins diversité de propositions générales. Et ce qui m’excite encore plus le courroux, est que s’il y a quelque cas indécis par nos coustumes, soudain nous sommes d’advis qu’il faut avoir recours au droit commun, entendons par ce droit commun le droit civil des Romains. Ceste regle est tres veritable, si elle estoit bien entendue. Toutes les provinces anciennement qui estoient subjettes à l’Empire, avoient… leurs loix municipales: en quoy si elles manquoient en quelque cas, qui n’eust esté definy, c’estoit bien la raison que les Provinciaux eussent recours en l’obmission de tels cas au droit commun de l’Empire, sous lequel ils estoient assubjettis: mais de nous chaulser à ce mesme poinct, ce seroit faire tort à nostre Patrie. Nous ne recognoissons en rien le droit des Romains sinon de tant et en tant que leurs loix se con? forment à un sens commun dont nous pouvons faire nostre profit». Pasquier suggère alors le recours, dans les cas douteux, à la coutume générale de la Province, puis, plutôt que d’aller « mendier à Rome », d’en appeler aux coutumes voisines; cf. également L’interprétation des Institutes, 36-37.

87. JOBBÉ-DUVAL, François Le Douaren (Duarenus) 1509-1559, Études… P.F. Girard, 1, 604. Il n’est pas exclu que son amour des belles-lettres n’ait pas, à certain moment, ralenti son zèle pour le Droit romain, encore si encombré de « barbares»; une lettre de Budé pourrait le laisser croire ; cf. le résumé de cette correspondance dans DELARUELLE, Correspondance de G. Budé, 1907, 239.

88. FLACH, op. cit., 24, n° 2.

89. Il y aurait à écrire une histoire de l’opposition à l’Humanime, j’entends de l’opposition hautement orientée dont le type fut la réaction d’Antoine Fabre ; ses Rationalia (j’ai utilisé l’éd. de 1626), continuation de la dialectique des quaestiones, annoncent la littérature indépendante des XVIIe-XVIIIe siècles. Sur le sens de son œuvre, WESTRUP, op. cit., 149. Jean Bodin, lui aussi, appartient à ce courant. On ne s’étonnera pas de trouver chez ces auteurs de fréquents renvois à Bartole, leur père spirituel (VAN DE KAMP, op. cit., 123).

90. Éditeur de Bartole avec des additions, Lyon 1535.

91. Il paraît difficile de tenir Tiraqueau pour un conciliateur. Son Humanisme est trop tranquille pour n’être pas suspect. La voie moyenne – « aurea mediocritas :„ – consiste, comme le souligne justement son historien, à accumuler de nouvelles autorités. C’est, au fond, un compilateur; cf. BREJON, André Tiraqueau (1488-1558), Thèse Poitiers 1937, 367.

92. Cf. notamment Dumoulin qui cite Bartole à tout propos, mais sait garder son indépendance ; ainsi : commentaire de l’art. 1 de la Cout. de Paris, v° peut.

93. Ainsi, Jean Bégat, romaniste bourguignon (1523-1572), étudié par VIARD, ÉtudesP.F. Girard, 1, 440. Rebuffe serait également à citer ici.

94. Je m’inspire ici de EYSSEL, Doneau. Sa vie et ses ouvrages, Dijon 1860 et de FLACH, op. cit., 25-26.

95. Cf. MAFFEI, op. cit., 53-54.

96. On s’en rendrait compte en comparant les propos injurieux de Cujas rapportés par FLACH, op. cit., 16 et quelques sobres allusions à de judicieuses opinions de Bartole ; cf. par exemple, Commentarius in titulum pandectarum, De verb. obligationibus : ita Bart. rectissime accepit…

De Pasquier, on verra notamment Recherches de la France, liv. 9, chap. 39.

97. Cf. PASQUIER, Lettres, Livre 2, lettre 6 (à Cujas); Pasquier y parle d’une traduction des Tres libri « mis en vieux langage françois » que Cujas désirerait consulter.

97bis. Il y a beaucoup à méditer dans cette remarquable appréciation de M. MESNARD: « S’il fallait définir Cujas d’un seul mot, il faudrait évidemment recourir à celui de glossateur ». La place de Cujas dans la querelle de l’humanisme juridique, Rev. hist. de Droit, 1950, 529.

98. BERRIAT SAINT-PRIX, Hist. de Cujas, 425-426. On s’explique mal l’absence des œuvres de Bartole dans la bibliothèque de Cujas ; cf. sur ce point, MESNARD, loc. cit., 532.

99. Consultatio 23,… « abutentes Bartoli scripto ad 1. 1 C. Si adversus trans. quod non intelligebant .

100. La Bib. Nationale conserve « l’inventaire des livres de la bibliothèque de Mr. de Thou », MS. lat. 10. 389. Si les œuvres de Cujas tiennent une place de choix (f.136), Bartole s’y trouve (f.134v) à côté de Balde, Paul de Castro, Alex. de Imola et de plus anciens glossateurs (ibid.).

101. CUQ a porté ici un jugement à peine éxagéré : « Dans l’œuvre… de Cujas, l’histoire occupe une place secondaire : elle n’est qu’une auxiliaire de l’éxégèse. Cette conception du rôle de l’histoire dans l’étude du Droit pouvait se défendre à une époque où le Droit romain était encore appliqué dans une mesure plus ou moins large », Institutions, 74. M. PETOT rappelle ce fait fondamental, parlant des Humanistes français : « … pas plus que pour leurs devanciers, le Droit romain n’était pour eux une législation morte »· Le Droit privé français au XVIe siècle et l’Humanisme, Umanesimo e scienza politica, (Congr. Intern. di Studi Umanistici, Roma-Firenze 1949), 1951, 348.

102. Ce qui permet de renvoyer à Bartole sur le problème de la prescription :  « là vous aurez recours à Bartolle », L’Interprétation des Institutes, 272.

103. MAFFEI, op. cit., 189.

L’idée d’une codification suppose nettement reconnu le caractère officiel d’un texte. Sur ce point, il y aurait d’utiles recherches à entamer. Ce qui paraît évident de nos jours est moins ancien qu’on ne croit, à preuve l’attitude de la jurisprudence qui semble s’être montrée fort libre à l’égard des textes des coutumes durant une grande partie de l’Ancien Régime. La royauté devait jouer en cette matière un rôle décisif et l’influence de l’Ordonnance de 1667 mériterait ici un examen attentif.

104. Notion sur laquelle les avis s’opposent; cf. une discussion dans Le Camus, MS Arsenal 671, f.51 et 52. Voir également quelques définitions, parmi les plus nettes, Bouteiller, éd. Charondas, 3 et le texte de Pasquier cité note 85. On trouverait des indications sur ce problème dans différents travaux modernes, notamment dans l’article de MEYNIAL sur le rôle joué par la doctrine et la jurisprudence dans l’unification du Droit français, en particulier dans la succession aux propres, Revue générale de Droit, 27 (1903), 326s et 446s., ainsi que dans celui de JARRIAND, «L’évolution du Droit écrit dans le Midi de la France », Rev. des Questions Historiques, 48 (1890), notamment 214 et 215.

105. D’excellents auteurs ont dressé des inventaires fort érudits, en négligeant totalement d’aborder ce sujet. Le remarquable ouvrage de P. COLLINET, L’ancienne Faculté de Douai (1562-1793), Travaux et Mémoires de l’Université de Lille, 9, 25 (Lille 1900), est typique à cet égard. Les liens avec Louvain, si importants semble-t-il, sont signalés à titre d’épisodes dans le déroulement des carrières des professeurs (par exemple, pour J. Ramus, p. 86) ; à aucun moment, mon éminent prédécesseur ne s’inquiète des influences, pas plus que des méthodes ou du résultat de l’enseignement.

106. Les représentations schématiques prennent ici leur importance. Les doctrines de l’Ancien Régime ont vécu sur de telles simplifications. Cujas est devenu une icône, symbole d’un nationalisme passablement chauvin qui n’est pas sans rapport avec la décadence de l’enseignement. Ch. Lorry, au XVIIIe s., reproche fort justement aux professeurs français leur repliement et leur suffisance.

107. On pourrait citer de nombreux exemples de cet historicisme abstrait qui se résoud souvent dans la répétition de lieux communs. Il est, à cet égard, regrettable qu’aucun dépouillement n’ait été entrepris des œuvres de Droit romain conservées dans nos bibliothèques. Voici quelques MSS qui serviraient utilement à l’appréciation de la Romanistique française. Paris, Arsenal 860 (XVIIIe s.), cahier d’un cours de Dr. romain sur les Institutes. Bib. Cour de Cassation, 252, f.5-58 (Paratitla sur le Digeste), Bib. Mazarine, 1433, (XVIIIe s.) commentaire sur la première partie du Digeste, incomplet, exemple typique de romanisme abstrait.

108. Ainsi, le Manuel d’Institutes de Justinien, par Payen, prof. à Avignon ; cf. MSS Avignon 752 et 753 (1698). Autre Manuel du même type: In quatuor Justiniani lnstitutionum libros annotationes, (XVIIIe s.) Cour de Cassation 244 ; imposante érudition (renvoi à Bartole, par ex. f.11r), esprit historique, nombreux rapprochements avec le Droit français.

109. Mémoire sur les moyens de rendre les études de Droit plus utiles, 1764, 71-72. Après avoir parlé de certains abus, notamment de la pratique des cahiers écrits par des scribes, Ch. Lorry écrivait : « Quant à ce qui concerne les maîtres, leur émulation ne fera-t-elle pas dans un jour beaucoup plus beau, n’aura-t-elle pas l’avantage de se produire avec plus d’éclat, lorsqu’elle ne se trouvera plus resserrée dans les limites de l’Ecole, qu’elle sera dans le cas de se produire au dehors, et de se faire connaitre non seulement à Paris, mais dans les Provinces et les Pays étrangers. Les Universités d’Allemagne, de Hollande et d’Italie nous fournissent ici des exemples dont nous pouvons profiter ». Il y a beaucoup à méditer dans ce Mémoire qui parfois prend l’allure d’un pamphlet et on admirera l’audace de ses propos ; cf. en particulier, ses critiques de l’abaissement des thèses et des grades: « Il est difficile de retenir son indignation vis-à-vis d’une prostitution aussi honteuse de ce qui doit être le témoignage public de la capacité » (p. 12).

110. Le plus illustre est Pothier.

111. Les Philosophes ne pouvaient manquer de tourner en ridicule un enseignement anachronique. Ainsi, DIDEROT, Plan d’une Université pour le gouvernement de Russie, ou d’une éducation publique dans toutes les sciences, Oeuvres, 3 (éd. Paris 1875), 437 : « Notre Faculté de droit est misérable. On n’y lit pas un mot du droit français… On s’occupe du droit romain dans toutes ses branches, droit qui n’a presque aucun rapport avec le nôtre ; en sorte que celui qui vient d’être décoré du bonnet de docteur en droit est aussi empêché, si quelqu’un lui corrompt sa fille, lui enlève sa femme ou lui conteste son champ, que le dernier des citoyens. Toutes ses belles connaissances lui seraient infiniment utiles s’il s’appelait Moevius ou Sempronius et que nous rétrogradions aux temps d’Honorius et d’Arcadius ; c’est là qu’il plaiderait supérieurement sa cause. Sous Louis XVI, il est aussi sot que l’habitant de Chaillot et bien plus sot que le paysan de Basse Normandie ». Cependant, de tels propos ne doivent pas donner à croire que la Philosophie est l’ennemi du Droit romain, parfaitement conciliable, au contraire, avec les « lumières ». Le même écrivait : « Le Droit romain est la source des vrais principes sur toutes les espèces de contrats qui sont du droit des gens ; c’est la raison et l’équité qui les a dictés, il n’y a point de nation policée qui ne doive les adopter (op. cit., 506). La conformité du Droit romain à la raison et l’équité est souvent soulignée par des praticiens se voulant Philosophes et dont le rationalisme s’accommode de l’idolâtrie pour Cujas. Par exemple, BERNARD, avocat au Parlement de Provence, ÉLoge de Jacques Cujas, Paris 1775, 7 : « Tant que le Droit romain subsistera c’est-à-dire, tant que les hommes seront gouvernés par la raison et l’équité, le nom de Cujas sera en vénération ». Cf. également, 17, 23, 24, 32. L’attitude courante, au XVIIIe s., ne manque pas, on le voit, de complexité ; il serait fort avantageux d’approfondir la description. Sur la psychologie du rationalisme du XVIIIe s. dans ses rapports avec l’hostilité à l’enseignement du Droit romain, il y aurait beaucoup à réfléchir. Réflexions qui trouveraient leur place naturelle dans un exposé d’ensemble sur les variations de la mentalité collective à propos du Dr. romain. Cf. quelques textes cités plus loin note 128.

112. Il serait naturellement abusif de poser trop de jugements généraux, en raison du caractère fragmentaire de nos informations. On relèverait aisément, en effet, l’indépendance de bien des praticiens, notamment dans les consultations dont un grand nombre nous a été conservé. Cf. par exemple, les consultations et mémoires réunis dans les papiers de Tronchet, Bib. de la Cour de Cassation, en particulier les MSS 266 (n° 6, 9, 27), 267 (n° 124), 283 (n° 1809). Voir également l’intéressant MS Poitiers 353 (date: 1776) ; l’exposé des« Premiers principes de la Jurisprudence française» va jusqu’à négliger totalement le Droit romain.

113. Me Antoine TERRASSON, Hist. de la Jurisprudence romaine, Paris 1750, 467.

114. Traités de Mr. DUPLESSIS sur la Coutume de Paris, Paris 1754; cf., par exemple Tome 1, 663 où Cujas résume presque à lui seul « les autoritez des docteurs » à propos d’une question concernant l’accusation d’adultère contre le femme.

115. Ainsi, DUPLESSIS, dans son traité de la communauté, se réfère volontiers à Bartole ; Traités, 1, 358. AUZANET, Oeuvres, Paris 1708 ; arrêts du Parlement de Paris sur les plus belles questions de droit et de coutumes, 87. Le BRUN, Traité de la Communauté (éd. de Paris 1754), 552 où sont combinées les opinions de Cujas et Bartole à propos de la condition et de la charge. IMBERT, La practique judiciaire, Lyon 1665 : les notations de l’éditeur Guesnois sont remplies de renvois à Bartole. Edition de la Somme rural de Bouteiller par CHARONDAS dont les annotations citent fréquemment Bartole et Cujas (son édition du Code Henri, Paris 1609, est de la même facture). Parmi les ouvrages d’une portée plus restreinte, voici quelques échantillons : CHASSENEU, Consuetudines ducatus Burgundiae, fereque totius Galliae, Lyon ; cf. par exemple, 63. TERRIEN, Commentaires du Droict civil tant public que privé observé au pays et duché de Normandie, Rouen 1654, 234-235. Voy. également, deux Mémoires sur quelques questions techniques de procédure, 1743 et 1748 (Bib. Nat. Imprimés: Fp. 878 et Fp. 865) qui sont, à vrai dire, des recueils d’autorités.

116. Historia juris romanorum, 85-86. L’auteur y fait le point de la doctrine.

117. BERNARDI, op. cit., 31.

118. L’interprétation des Institutes, 236-237 (à propos de l’art. 92 de la Nouv. Cout. de Paris). Cf. également, le témoignage de B0ULLEN0IS, Traité de la personnalité et de la réalité des loix, coutumes ou statuts, Paris 1766, 1, 21 remarquant la coïncidence, selon beaucoup d’auteurs, entre les thèses de Bartole et l’art. 247 de la Cout. de Paris.

119. Recherches de la France, Livre 8, chap. 14. On consulterait utilement des ouvrages tels que les Questions illustres de Me Julien Pelens, Paris 1608, cf. 270, renvoi à Bartole à propos d’un arrêt du Parlement de Toulouse.

120. Ainsi, l’hostilité à toute transposition des dispositions de la Coutume de Paris en cas de silence des coutumes locales paraît également partagée par la jurisprudence et la doctrine. Cette attitude devait conduire à multiplier les recours au Droit romain, devenu un authentique « Droit commun ». De la sorte, l’influence de traditions, sans doute héritées de la domination espagnole, et un certain réflexe autonomiste ont abouti à une application de plus en plus étendue du Droit romain. Ces conclusions reposent sur les résultats d’une consciencieuse étude de M. SANDEV0IR, Assistant à la Faculté de Lille ; ses importants dépouillements portaient à la fois sur le fond du Parlement aux Archives du Nord et sur des ouvrages ou consultations de praticiens locaux.

121. Il est, dans cette perspective, fort difficile de tirer parti des recueils de Jurisprudence (par exemple, du Journal des audiences du Parlement de Paris ; on ne peut, au vu des arguments des parties si souvent décorés de textes romains, tirer sans danger des conclusions et les rapprochements avec la décision sont souvent hasardeux) ou des ouvrages d’auteurs tels que CHARONDAS LE CARON ; dans ses Pandectes du Droit français (Paris 1637), l’accumulation des autorités, médiévales ou modernes, est telle qu’il n’est pas aisé de déceler l’influence d’une doctrine sur l’arrêt rapporté ; cet ouvrage, véritable synopse composée par un compilateur intelligent, est, remarquons-le, farci de renvois à Bartole, cf. Tome 1, 422-423, Tome 2, 23. Mais, on doit noter que son énorme érudition n’abolit pas son sens critique ; les docteurs Bartolistes sont parfois traités de haut et Cujas discuté. (Comparer les discussions sur la société et le louage).

122. REGNAULT, Cours d’hist. du Droit public 1946-47 (dactyl.) Paris, 225s.

123. Cf. les propos de LAPEYRIÈRE, op. cit., 32: « Ne possédons-nous pas Cujas complètement ? Son âme n’est-elle pas en nous ; après avoir passé par les ordonnances des 16e, 17e et 18e siècles, ne s’est-elle pas fixée dans notre Code Civil ? Son œuvre est une des fortes colonnes de l’édifice moderne». N’allons pas croire qu’il y ait là pur effet oratoire ; avec moins d’emphase, le Manuel de T0ULLIER, Droit Civil français, Paris 1812, se réfère volontiers au Droit romain via Cujas et Pothier (cf. 112), comme si le Droit romain était passé par les seules mains de ces deux auteurs.

124. Cf. la communication de M. FOYER. Cette remarque est valable pour l’ensemble des codifications. Il n’y a donc pas lieu de s’exprimer comme on le faisait couramment encore au début du siècle ; ainsi, MEILI, Bartolus als Haupt der ersten Schule des internationalen Strafrechts, Fest. Laband, 1908 (extr. 48-49). Il n’est pas exact de parler, comme cet auteur, d’un oubli de Bartole et de toute la doctrine italienne qui aurait conduit le Droit français à des solutions autonomes.

125. Notamment par l’intermédiaire de Pothier qui, d’ailleurs, ne fait aucun mystère de ses sources.

126. Préface de la traduction de K.S. ZACHARIAE, Le Droit civil des Français, 1854, 1, VI ; la science paraît commencer au XVIe siècle. Parmi les immortels dont il est parlé figurent : Cujas, Dumoulin, de l’Hospital, Domat, Daguesseau et Pothier.

127. MICHAUD, Biographie Universelle, Paris 1811, v° Bartole: « Le temps a néanmoins obscurci la gloire de Bartole : on ne lit plus ses écrits ».

128. Cujas fait l’objet de déclarations enthousiastes durant tout le XIXe siècle. Le discours sur Cujas de Me Lapeyrière, déjà cité, s’exprime en des termes pompeux (note 119). En 1855, l’Académie de législation de Toulouse instituait la fête de Cujas ; on trouvera le compte rendu de cette institution dans un texte (cf. un exemplaire à la Bib. Nat., Imprimés Ln 27, 5221) où fleurissent tous les beaux sentiments qu’inspirait Cujas, « immortel interprète » (3) : « Cujas a été le soleil le plus radieux qui, dans les temps modernes, se soit élevé sur l’horizon de la jurisprudence; on ne peut parler de la science du Droit sans commencer et finir par son nom» (7-8).

Il serait intéressant de chercher à mesurer l’influence de Cujas au XIXe siècle. Les romanistes français n’avaient pas rayé l’apport de la Romanistique de notre Ancien Régime et Cujas paraît jouer un rôle important dans la formation des professeurs de nos Facultés de Droit ; on s’en rendrait facilement compte par une comparaison des usages dans la manière dont sont abordés les problèmes par les candidats à l’agrégation ; cf. par exemple, la copie de BERRIAT SAINT PRIX en 1841 qui cite seulement Cujas (Bib. Faculté de Droit de Paris 23.045, tome 23). Les civilistes du XIXe siècle lisaient Cujas (cf. l’exemple cité de Toullier). D’une manière générale, par l’intermédiaire ou non de Cujas, la culture romaniste leur paraissait naturelle. Voy. l’érudition historique dont fait preuve LAROMBIERE à propos de l’art. 1118 du Code Civil : Code Napoléon, Théorie et pratique des obligations, Paris 1857, 1, 92-93.

129. Voy. ce vœu audacieux à Angers : « Que l’on cesse d’enseigner le Digeste et les Décrétales dans la Faculté de Droit et qu’on y enseigne Domat et Pothier pour le Civil ». A. LE MOY, Cahiers de doléances des corporations de la ville d’Angers, Angers 1915, 1, 108. Le problème de l’enseignement du Droit romain fut naturellement d’une actualité cruciale lors de la rédaction du Code Civil. Voy. SEDILLEZ, Considérations sur l’organisation des écoles de droit présentées au Tribunat, 12 mars 1804: « Le Dr. romain avait usurpé la première place dans les écoles de droit, il reprend celle qui lui convient ; il sera enseigné dans ses rapports avec le Dr. français», dans Recueil d’actes concernant l’enseignement du Droit, Paris 1838, 462.

130. L’imposante littérature sur « la crise du Droit romain» mériterait une analyse. L’abondance des articles sur ce sujet ne date pas d’aujourd’hui. Cf. par exemple, la bibliographie non exhaustive indiquée par APPLETON, «Notre enseignement du Dr. romain, ses ennemis et ses défauts », Mélanges Cornil, 1926, 1, 43-79. Ces réflexions périodiques, plus souvent destinées à rassurer leurs auteurs qu’à éclairer l’action, soulignent les difficultés rencontrées par l’enseignement du Dr. romain, confronté aux exigences d’une clientèle légitimement préoccupée de lier la science à la pratique.

131. Si Bartole apparaît submergé dans les doctrines postérieures au XVIe siècle, cela provient de l’énorme afflux d’autorités qu’a provoqué la Renaissance.

132. Le prestige du Droit romain en Europe, dont les causes politiques sont aujourd’hui bien connues, est un phénomène de psychologie sociale sur lequel on n’a pas suffisamment réfléchi. Le Droit romain inspire un respect quasi religieux, comme en témoigne le vocabulaire de ses admirateurs (cf. par exemple, la formule de Jean VIII, JAFFÉ, Regesta n° 2247: « Venerandae romanae leges ». En l’An VIII, Portalis dans le discours préliminaire lors de la présentation du projet de Code Civil déclarait : « La plupart des auteurs qui censurent le Droit romain… blasphèment ce qu’ils ignorent» ; FERNET, Recueil complet des travaux prépar. du Code Civil, Paris 1827, 1, 480) et Justinien doit nécessairement servir de modèle aux législateurs (Voy. les propos dithyrambiques tenus sur ce thème lors des conférences réunies par Louis XIV pour la réformation de la justice (1665). Textes dans P. CLÉMENT, Lettres, instructions et mémoires de Colbert, 1869, 6, 374).

Sous la Révolution et au début du XIXe s., on note évidemment une réaction ; cf. les propos de TALLEYRAND-PERIGORD sur « le culte superstitieux (Recueil d’actes concernant l’enseignement du Droit, 401) et le : « nous ne sommes plus idolâtres» de l’auteur anonyme d’un Mémoire sur les Ecoles de Droit (Bib. Nat.., Imprimés Fp. 2205).

133. Sans doute, la recherche des sentiments populaires sur le Droit romain montrerait-elle, comme Meynial le nota pour le Moyen Âge, une inquiétude teintée de mépris.

134. On se plait à évoquer le grand thème du Droit romain « fondement historique commun du Droit moderne » (ARMINJON, NOLDE, WOLFF, Traité de Droit comparé, Paris 1950, 1, 56), sans lier suffisamment l’histoire des idées à celle de la maturation politique. On ferait ce reproche à l’article de ALVARO D’ORS, Jus Europaeum, Studi... Koschaker, 1, qui contient pourtant sur l’évolution idéologique des aperçus synthétiques fort intéressants ; cf. notamment, 460 s.

135. Dont il ne reste plus que des expressions formelles, transmises par quelques manuels.

136. Je transpose le mot de Henry DAGUESSEAU faisant reproche aux jurisconsultes modernes du « désir qu’ils ont souvent outré (qui) leur a fait faire des applications si forcées (du Dr. romain) qu’elles blessent évidemment le sens commun », Méthode pour l’étude du Droit, Bib. Nat., fr. n. acq. 1991, p. 145-146.

137. On lira avec intérêt la Leçon d’ouverture de Dubois (citée note 4), qui fait varier le goût du Droit romain selon le degré d’intelligence ! C’est d’admiration obligatoire à peine de sottise.

 

Article paru BARTOLO DA SASSOFERRATO Studi e documenti per il VI centenario , Milan, Giuffrè editore, 1961, p.133-172 ; article réédité dans Écrits juridiques du Moyen Âge occidental, Variorum Reprints, 1988, VII.

Emblème

Solennel, l’oiseau magique préside à nos écrits.
Le paon étale ses plumes qui font miroir à son ombre.
Mais c’est de l’homme qu’il s’agit :
il porte son image, et il ne le sait pas.

« Sous le mot Analecta,
j’offre des miettes qu’il m’est fort utile
de rassembler afin de préciser
sur quelques points ma réflexion. »
Pierre Legendre

« Chacun des textes du présent tableau et ses illustrations
a été édité dans le livre, Le visage de la main »

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