Ars Dogmatica

Pierre Legendre

L’Avant dernier des jours

“Cet écrit accomplit un vœu : qu’à la tombée du jour je conquière de m’entendre avec le destin.

Ici, il ne s’agit pas du fardeau existentiel, mais de l’ardeur issue de mon lot originel : une passion de s’aventurer n’importe où, pour tâter du pourquoi ? qui fait se mouvoir la marée des générations humaines.

Je me suis donc laissé aller à la légèreté d’une libre association. Le temps n’efface rien, il refoule pour désencombrer le présent.

Séjours en Afrique, rencontre du Japon et quelques pas du côté des Amériques m’ont été une faveur. J’y ai conquis un regard d’étranger sur l’Occident. Ce livre résonne du fracas des enjeux traditionnels, religieux notamment, mis au placard en Europe de l’Ouest, ou bien il témoigne d’attitudes sociales et politiques jamais vues : la volonté d’ignorer cultivée comme un savoir.

Mosaïque de fragments, l’assemblage du texte trouve sa cohésion dans une succession de moments de dépaysement, d’avancées théoriques, de récits, où la fiction et la poésie tiennent leur rang, selon l’esprit cinématographique de ma démarche.

Et pour la méditation du lecteur, sollicité en visiteur d’icones, je propose ici et là une œuvre de mon Musée imaginaire”.

P. L.

 

Récits de lecteurs

 

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Extraits :

 

Chronique d’une solitude conquise

”(…) Il me fallait retourner la mauvaise carte, mon ticket d’entrée dans la vie. Autant dire : inventer une boussole pour le grand voyage. D’esprit romantique, je sentais en moi « une énergie stagnante ». La bonne fortune m’apporta ces guides fidèles qui jamais ne font défaut quand on les sollicite : les initiateurs grecs et latins, les écrivains familiers du désespoir, mais aussi les iconographes qui donnent figure humaine à l’Énigme du destin. Parmi ceux-ci, dont je fis connaissance au hasard des rencontres dans une collection de Belles Images, mon précieux butin d’adolescent fasciné : Titien, peintre de « L’homme au gant ». Ce tableau, élaboré vers 1523, je l’ai adulé comme si j’allais soudain m’y refléter… Ô paradoxe ! Comme si je le regardais avec les yeux du Narcisse antique : « celui-là, je le suis ». En vérité, cette peinture me fut un recours, selon les épisodes d’une vie de collégien inquiet : visage déterminé et mains libres, en attente de l’indéfini des temps à venir (…).”

”(…) Je dois affranchir le lecteur. L’ouvrage ici proposé est fait d’une série de remarques ou d’anecdotes significatives, de souvenirs aussi divers que les situations dues au hasard de la vie, et que certaines fonctions exercées par choix ou par la force des choses. Quant à ma sociabilité, c’est assez simple. J’ai fui la masse universitaire, où pullulent les vanités que les théoriciens médiévaux englobaient sous une rubrique policée : « Prestance des docteurs ». Je me suis aussi tenu éloigné du commerce militant, tant prisé après la Révolution en carton pâte de 1968, qui a fait fleurir les carrières, porté aux nues la vulgarité politique et saccagé l’éducation de la jeunesse. Mes aveuglements étant aussi de la partie, j’ai découvert en ma vieillesse la duplicité des faux amis, manipulateurs d’autrui (…).”

 

“Sur les secrets de l’écriture

Une réflexion sur l’étrangeté du phénomène de l’écriture est-elle aujourd’hui possible hors du sentier battu des doctrines sur l’information ? Ce que par les techniques modernes nous avons gagné est comparable au perfectionnement des automates, à une sorte de robotisation du geste de la main, qui en douceur efface de nos consciences l’extrémisme de cette invention de l’espèce : transformer la matérialité de l’homme et du monde en spectacle de signes. Inventer le jardin, construire l’édifice ou le moteur d’avion, mettre en scène toute chose, c’est l’opération même que nous appelons écrire, avec ce qu’elle comporte de secret, au sens premier de ce terme latin : séparer. Autant dire que l’écriture quelle qu’elle soit est un travail de séparation d’avec une opacité, elle célèbre l’avènement d’un lien — en premier lieu, le lien de parole. L’interlocution a été portée à son comble, jusqu’à cette extrémité : l’Univers nous parle et nous lui parlons. L’humain ici accède à une forme de dépouillement de sa condition terrestre. Son animalité est comme transfigurée. C’est pourquoi, de l’écriture telle que nous la rapetissons en la voyant seulement dans une fonction utilitaire, nous ne comprenons plus qu’elle ait affaire avec le divin. (…)

 

L’Ange mathématicien. Rêveries sur la juste mesure.

(…) Ici nous avons affaire à l’Indissociable. La production d’un moteur d’avion résulte d’une juste mesure, horizon qui réunit dans la même tâche une équipe d’ingénieurs solidaires. La nature de ce labeur rejoint l’élaboration d’une chorégraphie, ou la pensée de l’architecte dessinant le futur bâtiment : en chacun de ces cas, une écriture est à l’œuvre, qui anticipe l’instant où prend vie la réalisation… Selon les calculs de la juste mesure. Voilà pourquoi le montage mis sous les yeux du lecteur unit l’objet usiné à son fondement spirituel : l’Écrit mathématique, avec ses lettres et ses lignes dessinées, voilant / dévoilant le mystère de cette chose banalisée, un moteur ; elles sont à prendre et comprendre, par l’ignorant éclairé, comme les signes de la continuité humaine à travers le Temps : ici une œuvre de l’homo faber de l’ère hyperindustrielle (…).”

 

Penser l’espace européen (…)

(…) Et maintenant, l’espace européen — continent divisé : pourquoi et comment ?

Me souvenant d’abord de la patrie française, je viens d’évoquer ce fragment d’Europe. Le destin de mes études m’ayant ouvert l’au-delà des frontières, je me réfère au vers de Dante adressé aux lecteurs sains d’esprit : « remirez bien la doctrine cachée sous le voile… » (Enfer, IX). Pour maintes raisons, au fil des années, j’ai entrevu ce que dissimule la surface dénommée Europe, plus récemment Union Européenne, concepts qui font semblant d’oublier et la Russie en sa constance propre et ses attaches, à tout le moins modernes, avec l’Ouest.

Oui, je me souviens. Et d’abord de ce que m’apporta le pas-à-pas de l’érudition du côté de cet Occident : l’existence d’un noyau, comparable au noyau atomique, autour duquel « ça gravite ». S’agissant de civilisation, que veut dire le « ça » et quel est le « noyau » ?

La réponse est simple. Mais le « story telling » qui court à travers les media dits culturels s’en tient soigneusement éloigné, en dépit des propos lucides d’écrivains célébrés, Borges par exemple.

Le « noyau », c’est la Romanité, impériale et christianisée, dont se soutient le continent tout entier, soustraction faite évidemment de l’islam turc qui, depuis la moitié du XVe siècle, n’a pas lâché l’essentiel de sa proie, le territoire de l’Empire romain byzantin : l’extrême pointe orientale du continent européen et au-delà.

Je ne reviens pas sur la question considérable, approfondie par mes soins (écrits et films), dans le dessein de faire entendre la gravité des enjeux qui lui sont liés. La Russie ne renoncera jamais à son inscription historiale, généalogique, dans le « ça » qui gravite autour du noyau.

Preuve spectaculaire de cette allégeance millénaire : « l’Aigle à deux têtes », emblème des Nations orthodoxes, ancrées par hypothèse dans la doctrine cachée : la Romanité impériale christianisée, incarnée par les deux parties de l’Empire romain, « patrie commune » selon l’antique vocabulaire (communis patria) — innocemment, mais judicieusement rebaptisée « maison commune » par Gorbatchev, dernier gouverneur de la Russie soviétique. (…)

 

Présentation de la version “grand papier”

Emblème

Solennel, l’oiseau magique préside à nos écrits.
Le paon étale ses plumes qui font miroir à son ombre.
Mais c’est de l’homme qu’il s’agit :
il porte son image, et il ne le sait pas.

« Sous le mot Analecta,
j’offre des miettes qu’il m’est fort utile
de rassembler afin de préciser
sur quelques points ma réflexion. »
Pierre Legendre

« Chacun des textes du présent tableau et ses illustrations
a été édité dans le livre, Le visage de la main »

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